THE PROPOSITION (2005)
John Hillcoat
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Depuis le début de sa carrière, le chanteur australien
Nick Cave cultive un univers particulier évoluant au fil des
albums de ses Bad Seeds. Chez Cave, la mort côtoie la trahison
et les obscurs dédales de la morale recèlent de terribles
dilemmes. En ce sens, il n'est pas surprenant que le chansonnier ait
décidé de camper son premier scénario dans le monde
du western. Au fil du temps, le genre s'est imposé comme un laboratoire
particulièrement fécond sur le thème de la nature
humaine. Le désert et l'esprit sauvage des régions frontalières
où s'impose une prétendue civilisation s'avèrent
de véritables révélateurs capables de percer les
secrets les plus obscurs de l'instinct humain. L'esprit de survie a
pris le dessus dans ces contrées où l'illusion de la liberté
attend quiconque est prêt à rejeter les valeurs et les
lois d'une communauté encore frêle. Dans une Australie
souillée par le sang des aborigènes, The Proposition
propose un intense drame psychologique où se mêlent famille
et honneur.
Captif du capitaine Stanley (Ray Winstone), le brigand Charlie Burns
(Guy Pearce) se voit proposer une façon de sauver la vie de son
petit frère Mike. Sachant que la plus grande menace pour l'ordre
public demeure l'aîné Arthur (Danny Huston), Stanley donne
à Charlie neuf jours pour éliminer son anarchiste frangin.
L'échéance venue, le jeune Mike sera pendu pour les crimes
qu'il a commis en compagnie de ses frères. Charlie part donc
avec la mission d'assassiner l'un des siens.
D'emblée, The Proposition nous plonge dans une situation
complexe où les personnages prennent le devant sur le dévoilement
des péripéties. Cette caractéristique fonctionne
à l'avantage du film de John Hillcoat, mais lui confère
aussi un rythme irrégulier et parfois légèrement
bancal. Par souci poétique, Nick Cave a pris le soin de dresser
le portrait de chacun de ses personnages avec une minutie remarquable
tant et si bien que même ses protagonistes secondaires ont droit
à une présentation lyrique et soignée. De cette
approche fascinée découle la principale force de The
Proposition : une densité psychologique et une dimension
éthique qu'il confère à chaque détail de
son intrigue.
L'écriture de Nick Cave s'alimente à même une mythologie
très personnelle et parle une langue gorgée de mystique.
La violence est ici une force universelle acceptée et l'ordre
un étrange principe qui s'installe grâce à une drôle
de justice. La réflexion de Cave s'échelonne sur tous
les pans de l'univers qui lui servent de bassin. Malheureusement, John
Hillcoat est d'abord un esthète et sa réalisation n'est
pas toujours à la hauteur de l'intelligence d'un scénario
qui a lui-même de la misère à trouver sa vitesse
de croisière.
Au moins, Hillcoat et son directeur photo Benoît Delhomme transposent
l'histoire dans un paysage sévère illustré avec
brio. Les bribes oniriques nous rappellent parfois le Blueberry
de Jan Kounen, mais la cruauté de l'ensemble nous ancre solidement
chez Sergio Leone. Grâce à une distribution intense et
maîtrisée, The Proposition dépasse la pièce
d'époque sur un pan délaissé de l'histoire méconnue
de l'Australie pour s'établir en tant qu'oeuvre cinématographique
à part entière. Ses personnages émouvants donnent
un sens à la brutalité du film qui dépasse les
carcans du genre.
En fait, The Proposition est une ode à l'Australie imaginée
par Cave. Le cauchemar et le rêve s'y mêlent pour former
une étrange sensation de liberté et d'enfermement. Le
spectateur est abandonné sur un territoire qui ne connaît
pas la pitié. Mais Cave et Hillcoat ont su tempérer l'expérience
de moments de grâce et de beauté : de grandioses couchés
de soleil viennent contraster avec les tourments d'humains déchirés.
The Proposition est un film généreux et intrigant
qui souffre certes de certains relâchements de tension, mais tout
en se rattrapant aisément en proposant un vrai bon moment de
cinéma aux spectateurs prêts à lui consentir un
léger effort. En tout et pour tout, The Proposition
est un premier pas réussi dans le monde du cinéma pour
Nick Cave ainsi qu'un essai original et prenant sur la valeur du lien
de sang.
Version française :
La Proposition
Scénario :
Nick Cave
Distribution :
Guy Pearce, Tom Budge, Emily Watson, Ray Winstone
Durée :
104 minutes
Origine :
Australie, Royaume-Uni
Publiée le :
4 Juin 2006