LE PROMENEUR DU CHAMP DE MARS (2005)
Robert Guédiguian
Par Alexandre Fontaine Rousseau
L'Hexagone est à l'heure actuelle secoué par une vague
de Mitterand-manie imputable en partie à sa nostalgie généralisée
pour une France révolue, morte dans la naissance d'une Europe
nouvelle et enterrée par les relents de mondialisation sculptant
aujourd'hui le monde de demain. C'est la France des grands chefs, de
la monarchie et des courants de pensée tout-puissants que rêve
de faire revivre Robert Guédiguian avec son Promeneur du
Champ de Mars, drame biographique peint tout en demi-tons dont
la facture très - peut-être même trop - classique
et l'austérité appuyée soulignent un attachement
profond à la vieille école du cinéma français.
On dit souvent que l'histoire et la biographie sont les derniers refuges
d'un cinéma national blessé: en 2005, c'est ce territoire
qu'aura exploré la France avec le plus de succès.
Oeuvre populiste dans la mesure où elle traite avec beaucoup
de clémence des derniers jours d'un personnage politique autrefois
vilipendé bénéficiant d'un soudain regain de respect,
ce treizième film du réalisateur de Marius et Jeannette
propose au peuple français un instant d'auto-contemplation somme
toute bénéfique. À une époque où
la cinématographie nationale garde son regard envieux rivé
sur les États-Unis (le meilleur film purement français
de l'année 2005 n'était-il pas après tout De
battre mon coeur s'est arrêté, remake inspiré
du Fingers de James Toback?), il est intéressant de
voir que le pays peut encore exploiter les possibilités du cinéma
à des fins d'introspection collective.
Si le solide téléfilm 17 octobre 1961 et l'admirable
Caché du réalisateur autrichien Michael Haneke
exposaient les blessures laissées sur la conscience française
par le conflit algérien, Le Promeneur du Champ de Mars
contemple pour sa part l'effondrement de la gauche en France et les
jours sombres du régime de Vichy. On pourrait accuser le film
d'abandonner trop rapidement certaines des questions qu'il soulève;
la zone d'ombre que demeure l'implication de Mitterand à la Résistance
intérieure française et sa collaboration temporaire avec
le régime de Vichy est mentionnée mais laissée
en suspend. Même constat pour ce qui est de l'effritement de ses
idéaux sociaux, noté au passage puis expliqué simplement
par la mention de "cinquante ans de vie politique".
En fait, il serait facile de coller au Promeneur du Champ de Mars
l'étiquette de film facile et vaguement bourgeois s'appuyant
sur la politique pour cultiver des airs de respectabilité superficiels.
Néanmoins, le film de Guédiguian évite de sombrer
dans la théâtralité excessive pour cultiver avec
un certain raffinement ce dépouillement visuel qui en fait une
oeuvre tout de même intéressante au plan formel. Le travail
de cadrage, subtilement expressif, laisse planer l'ombre de la mort
qui guette Mitterand sur l'ensemble du film. Des dialogues méticuleusement
écrits confèrent pour leur part aux échanges verbaux
une profondeur cruciale au bon fonctionnement de l'ensemble, qui repose
principalement sur ceux-ci. Seule la voix-off - associée au personnage
du biographe - semble parfois déplacée.
Campé avec confiance par Michel Bouquet, François Mitterand
est ici présenté en tant qu'homme obsédé
par son héritage plutôt que sous un jour purement politique.
Les effets de l'âge sur la chaire, que le film révèle
avec une réserve aussi admirable qu'efficace, permettent au réalisateur
de confronter la réalité de l'humain mortel à l'éternité
du symbole. Pourtant, c'est un mot d'esprit prononcé par Mitterand/Bouquet
qui résume le mieux Le Promeneur du Champ de Mars: le
président, lorsqu'il déclare que le gris est la couleur
de son pays, célèbre les nuances d'un film jouant sur
la distinction entre le socialisme et le communisme, entre la France
d'hier et d'aujourd'hui.
Ainsi, Robert Guédiguian arrive en grande partie à éviter
les pièges traditionnellement associés au drame biographique
pour signer une oeuvre assez personnelle approchant une figure politique
à hauteur d'homme. Certains seront déçus par sa
décision d'axer Le Promeneur du Champ de Mars sur la
relation entre le président et le journaliste. C'est par ailleurs
cette forme de confrontation qui permet au film de nourrir notre intérêt
jusqu'à la toute fin. Sans être un grand film, Le Promeneur
du Champ de Mars débarrasse le cinéma français
contemporain d'un certain marasme en s'appuyant intelligemment sur des
valeurs sûres. Le résultat final est intéressant:
pourtant, la neutralité avec laquelle est peint le portrait laisse
en suspend plusieurs questions. Oeuvre bassement nostalgique ou remise
en question d'une certaine réalité française, ce
Promeneur?
Version française : -
Scénario :
Georges-Marc Benamou, Gilles Taurand
Distribution :
Michel Bouquet, Jalil Lespert, Philippe Fretun,
Anne Cantineau
Durée :
116 minutes
Origine :
France
Publiée le :
17 Septembre 2006