PRINCESS MONONOKE (1997)
Hayao Miyazaki
Par Alexandre Fontaine Rousseau
On dit souvent du cinéma d'animation japonais qu'il est anonyme
et générique. Pourtant, le réalisateur Hayao Miyazaki
s'est imposé tant au niveau esthétique que thématique
comme auteur à part entière. Au fil des ans, sa filmographie
s'est affirmée au niveau mondial comme l'une des plus remarquables
dans le domaine du cinéma d'animation contemporain. Mais bien
que son premier long-métrage remonte à 1979, c'est le
Princesse Mononoké de 1997 qui fut pour plusieurs le
coup d'envoi de sa carrière internationale à grande échelle.
Érigeant sur les fondations laissées par l'excellent Nausicaä
of the Valley of the Winds, une autre fable écologiste encore
plus poussée celle-là, Miyazaki accepte avec ce sixième
long-métrage de plonger dans certaines des zones d'ombres que
laissaient pour compte ses oeuvres précédentes, plus naïves.
Il en résulte son film le plus accompli, une formidable rétrospective
des valeurs et des symboles qui lui sont chers.
Lorsqu'un dieu animal corrompu par un mal mystérieux s'attaque
à son village, le jeune prince Ashitaka défend les siens
au péril de sa vie et se blesse durant le combat. Mais la marque
que laisse le sanglier dépasse la chaire. C'est une malédiction
et bientôt Ashitaka doit quitter son village, espérant
peut-être trouver à l'Ouest les réponses aux questions
qu'il se pose. Finalement, il découvre, nichées aux abords
d'une forêt, les forges de Dame Eboshi. Très vite, le jeune
guerrier est plongé dans une confrontation catastrophique entre
l'humain et la nature.
Chez Miyazaki, l'humain est puni lorsqu'il n'arrive pas à cohabiter
en harmonie avec la nature. Princesse Mononoké perpétue
cette tradition du message environnementaliste qui traverse l'oeuvre
du réalisateur en plus de renouer avec plusieurs autres de ses
thématiques fétiches telles que la corruption et l'avarice.
Il revient aussi sur sa fascination pour les sociétés
matriarcales et les figures maternelles fortes. L'omniprésence
de personnages féminins confiants et même tout-puissants
chez Miyazaki est particulièrement étonnante lorsque l'on
considère la position traditionnelle de la femme dans la société
japonaise, mais elle souligne avec force l'étrange relation qu'entretient
l'artiste avec le passé. Puisant à même les mythes
et traditions, une force mystique qu'il vénère, Miyazaki
cultive l'idée d'apprendre de ses erreurs et d'évoluer
sans trahir ses racines.
Comme à l'habitude, le réalisateur évite la pensée
manichéenne du monde et arrive à dresser le portrait de
personnages relativement complexes compte tenu des aspirations épiques
de son scénario. En ce sens, Dame Eboshi est le plus riche des
protagonistes de Princesse Mononoké. Rappelant à
certains égards la sorcière Yu-Ba-Ba de Spirited Away,
c'est une figure autoritaire à la fois juste et menaçante
qui suit un certain code d'honneur strict sans toutefois prendre toujours
les bonnes décisions. Sa rédemption finale est celle de
l'humanité entière. Sa nouvelle vision d'un village en
synergie avec son environnement est celle que partage finalement son
créateur, et que celui-ci tente de valoriser avec son film.
N'empêche, la richesse de l'univers que dépeint le maître
Miyazaki est facile à oublier lorsque l'on s'émerveille
devant la grandeur de son talent de conteur. Bien sûr, son scénario
suit le schéma classique de l'ascension du héros et la
quête d'Ashitaka correspond ouvertement à tous les archétypes
narratifs traditionnels. Mais tout comme dans Nausicaä,
le réalisateur nous emporte de son souffle épique grandiose
dans un univers fantastique, cette fois plus classique, mais malgré
tout unique. Son travail esthétique est aussi imaginatif que
techniquement abouti. C'est bien sûr cette maîtrise de l'image
qui a permis à Miyazaki de tirer son épingle du jeu et
de se distinguer là où plusieurs animateurs nippons sombrent
dans l'anonymat. Cependant, c'est la substance de son oeuvre qui lui
confère son aspect fascinant.
En tout et pour tout, Princesse Mononoké est sans l'ombre
d'un doute l'un des films d'animations les plus magnifiques que nous
ait livré le pays du soleil levant. Car cette fois-ci, c'est
bien la vision d'un auteur qui s'anime sous nos yeux éblouis.
Hayao Miyazaki est un sage au coeur d'enfant qui sait étoffer
son inspiration visuelle d'un grandiose sens de la narration. Que l'empire
de la souris ait mis la main sur les droits pour l'ensemble de son oeuvre
en sol américain n'a rien de bien surprenant. Là où
Disney a perdu toute sa magie d'antan, Miyazaki a su la renouveler sans
niveler vers le bas ou trahir sa vision du monde. En ce sens, il se
hisse au niveau de grand auteur du cinéma contemporain même
s'il oeuvre dans l'univers si souvent snobé de l'animation grand
public.
Version française :
Princesse Mononoke
Version originale :
Mononoke-hime
Scénario :
Hayao Miyazaki
Distribution :
Yôji Matsuda, Yuriko Ishida, Yûko Tanaka,
Kaoru Kobayashi
Durée :
134 minutes
Origine :
Japon
Publiée le :
25 Mars 2006