PRINCESS (2006)
Anders Morgenthaler
Par Alexandre Fontaine Rousseau
La violence est une matière cinématographique dont la
force expressive n'est plus à prouver. Dans Princess,
le Danois Anders Morgenthaler en exploite l'impact viscéral et
la qualité esthétique tout en posant les bases d'une réflexion
sur l'acceptation complaisante qui en est faite dans les sociétés
occidentales. Film d'une force de frappe indéniable, ce premier
essai animé que propose la maison de production du cinéaste
Lars Von Trier alterne entre la tendresse et la sauvagerie selon une
logique aussi imprévisible qu'elle est implacable. Rappelant
par ses effusions subites de violence le cinéma de Takeshi Kitano,
le film de Morgenthaler exploite cette forte dichotomie pour souligner
les ambiguïtés troublantes de la morale de ses personnages.
Comme chez Von Trier, les apparences accueillantes sont parfois trompeuses
et les bonnes intentions peuvent bien vite justifier des gestes tout
à fait horribles.
D'une surprenante profondeur, le scénario tordu de Princess
nous plonge immédiatement dans un univers perturbé et
décadent où l'argent se gagne par la dégradation
de l'humain. Lorsqu'une vedette du monde de la pornographie meurt en
laissant derrière elle une fillette de cinq ans, son frère
devenu prêtre décide de s'occuper de la gamine marquée
par l'obscénité de ce milieu. Bientôt, le simple
fait de protéger et d'éduquer la jeune fille ne le satisfait
plus: il lui faut venger sa soeur et sa nièce par tous les moyens
nécessaires. Dans la plus pure tradition du cinéma américain,
il se transforme en justicier aux méthodes expéditives.
Pour lui, la fin justifie les moyens et les moyens seront sanguinaires.
Notre ange exterminateur s'apprête à mettre l'industrie
de la porno à feu et à sang.
Très rapidement, l'état cathartique se transforme en cauchemar;
à l'instar de nos sociétés qui jugent plus sévèrement
le sexe que le la violence, ce prêtre fait le ménage au
nom d'une morale douteuse qu'il entache un peu plus avec chaque meurtre
sanguinaire qu'il commet. À l'horreur, il répond par l'horreur.
Bientôt, c'est la petite à nouveau abandonné qui
écope des frais de cette croisade vindicative menée en
son nom. Elle est délaissée une fois de plus, au profit
d'une sorte de rédemption personnelle carburant aux remords et
aux regrets. Cette figure religieuse et paternelle est transformée
par la certitude de la foi en armée d'un homme.
Si sa facture visuelle est fortement inspirée par l'animation
nippone, Princess arrive à cerner une esthétique
qui lui est propre et diverge des conventions. Fusion harmonieuse entre
les traits angulaires de la bande dessinée européenne
et la rythmique détonnante de l'animation japonaise, le travail
de Morgenthaler est visuellement riche: sa réalisation inventive
et maîtrisée rachète aisément quelques faiblesses
intermittentes au niveau de la technique. Épousant les contrastes
vifs de ce scénario impitoyable, l'oeuvre alterne entre la douceur
et la brutalité au fil des scènes. Qui plus est, l'emploi
d'images vidéo vient pimenter la forme éclatée
du film tout en accentuant visuellement la nature cruelle de l'industrie
pornographique. Le film d'animation est alors libre d'exprimer les fantasmes
vengeurs purement adolescents du spectateur sans dénaturer le
propos plus sérieux des images dites « vraies ».
Ainsi, Morgenthaler arrive à parsemer une oeuvre violente et
brusque d'instants critiques fort pertinents. Princess s'aventure
sur un terrain moral trouble où le bien et le mal deviennent
impossible à démêler. Dans cet univers où
les saints sont des tueurs et les enfants se voient voler leur innocence
dès la naissance, les lueurs d'optimisme sont rares. Que l'expérience
propose quelques instants d'une réelle beauté tient en
soi de l'exploit; malgré tout, le propos de Princess
est assez nihiliste. Entre ces gangsters pornographes et ce tueur déchaîné,
sommes-nous en mesure de choisir un camp? Placé au coeur d'un
dilemme où les « bonnes » réponses semblent
d'emblée avoir été écartées, le spectateur
a droit - et c'est là l'ultime ironie de Princess -
à un divertissement explosif et féroce dont la charge
percute tant au niveau esthétique qu'éthique. La vision
de Morgenthaler est un étrange compromis parfois difficile à
démêler, mais son film demeure sans contredit l'unes des
oeuvres d'animation les plus troublantes et émouvantes de 2006.
Version française : -
Scénario : Mette Heeno, Anders Morgenthaler
Distribution : Thure Lindhardt, Stine Fischer Christensen, Liv
Corfixen, Tommy Kenter
Durée : 90 minutes
Origine : Danemark, Allemagne
Publiée le : 26 Octobre 2006
|