LE PRESSENTIMENT (2006)
Jean-Pierre Darroussin
Par Jean-François Vandeuren
Avocat prospère issu d’une famille bourgeoise, Charles
Bénesteau (Jean-Pierre Darroussin) décide un jour de tout
laisser derrière lui pour s’installer dans le petit appartement
d’un quartier populaire de Paris, au grand désarroi de
ses proches pour qui ce nouveau style de vie a tout d’une véritable
maladie. Charles cherchera ainsi à profiter de la simplicité
de son nouveau quotidien pour renouer avec de vieilles ambitions d’écrivain
tout en offrant gratuitement ses services à titre de consultant
juridique aux habitants de l’immeuble auxquels il tente de se
fondre en silence. Cette petite vie sans tracas à laquelle il
s’est parfaitement habitué prendra une tournure pour le
moins inattendue lorsqu’un des locataires à qui il avait
octroyé quelques conseils par le passé battra sévèrement
son épouse, laquelle se retrouvera aussitôt à l’hôpital,
plongée dans un profond coma. Charles devra du coup héberger
la fille du couple en attendant que la mère de celle-ci retrouve
ses esprits. Il fera alors appel aux services d’une voisine qui
s’installera chez lui pour l’aider à prendre soin
de la gamine et faire en sorte que ce léger contretemps n’affecte
pas la progression de son roman. Mais lorsque les choses tourneront
au vinaigre entre l’adolescente et sa gouvernante, cette dernière
commencera à répandre des rumeurs abjectes sur le compte
de Charles, ce qui amènera évidemment tout le voisinage
à se méfier de la gentillesse de cet individu qui n’est
visiblement pas des leurs.
Ce n’est évidemment pas la première fois que le
septième art est le théâtre d’une lutte de
classe entre un personnage nanti et une population moins fortunée.
À l’origine, le rôle du bourgeois était souvent
démonisé alors que ce dernier prenait un malin plaisir
à acculer une populace au pied du mur sans que celle-ci ne puisse
faire quoique ce soit pour échapper à son triste sort.
Pour sa part, l’adaptation du roman d’Emmanuel Bove expose
un cas tout à fait contraire tout en tenant toujours compte de
cet exemple classique qui finit par devenir une source de méfiance
autant chez le spectateur qu’au sein de cette communauté.
Celle-ci aliénera ainsi progressivement ce nouvel arrivant de
la même façon que la famille de ce dernier les catégorisera
au départ, jugeant que les manières un peu trop raffinées
de Charles cachent forcément des intentions beaucoup plus répréhensibles.
Un automatisme pour le moins inquiétant que véhiculeront
tous les personnages du film, mis à part le principal intéressé,
et ce peu importe leurs origines ou leur situation financière.
Jean-Pierre Darroussin se penche d’ailleurs sur ce type d’identification
à un milieu d’une manière extrêmement pertinente
en soulignant sournoisement les nombreuses oppositions divisant les
membres d’un même groupe, lesquels s’accommodent sans
broncher l’un de l’autre même si leur nature diffère
parfois complètement de celle de leurs soi-disant confrères.
Darroussin se présente également comme un cinéaste
des plus maniérés sur le plan esthétique. Le réalisateur
français berce ainsi doucement ses élans au rythme du
quotidien empreint de solitude de son protagoniste qu’il place
tout aussi judicieusement dans une position d’observateur à
la fois actif et passif. Le réalisateur illustre ainsi ce fin
scénario en misant davantage sur les états d’âme
de son personnage que sur l’élaboration d’une tension
dramatique qui aurait pu être autrement plus soutenue. Ce dernier
ne cherche donc pas à arracher son histoire au cadre littéraire
à laquelle elle appartenait à l’origine afin de
donner le ton à un effort visuel extrêmement dépendant
de la trame narrative de son récit et du point de vue de son
personnage principal. Darroussin nous enivre ainsi du caractère
détaché à la limite du je-m’en-foutisme d’un
être pourtant prêt à aider n’importe qui dans
un ensemble on ne peut plus délicat dont les événements
auraient pourtant dû mener à une suite de réactions
beaucoup plus prononcées chez le principal intéressé.
Il faut dire que contrairement à ses pairs, Charles est un être
de peu de mots, lesquels sont bien souvent ici le fruit d’une
méchanceté et d’une arrogance grandissantes au cœur
d’un monde désillusionné où plus personne
ne semble être prêt à accorder le bénéfice
du doute à qui que ce soit.
Pour un premier passage derrière la caméra, Jean-Pierre
Darroussin signe une réalisation qui n’aurait pu être
plus à l’image du scénario qu’elle dépeint,
soit singulière mais extrêmement précise. Le
Pressentiment forme ainsi une œuvre dont la lenteur hypnotique
et la trame sonore on ne peut plus discrète d’Albert Marcoeur
lui permette de garder les deux pieds sur terre tout en flirtant à
l’occasion avec quelques teintes plus oniriques. Darroussin laissera
d’ailleurs celles-ci prendre les dessus lors d’une superbe
séquence de fantasme de mort qui en dira long sur la victoire
personnelle que son protagoniste aurait bien aimé célébrer
avant de le confronter de nouveau à une réalité
dans laquelle il ne pourra visiblement jamais avoir le dernier mot.
Darroussin ne nous laisse toutefois pas sur cette note pessimiste et
nous rappelle en un éclair que l’accomplissement émane
avant tout de la valeur du geste posé et non de la reconnaissance
d’autrui. Ce dernier fait également part d’une retenue
tout aussi digne de mention devant la caméra dans la peau de
ce personnage inébranlable pourtant sens dessus dessous intérieurement.
Une ambivalence dont s’imprègnent parfaitement les principaux
thèmes du présent effort, lesquels tendent fort heureusement
beaucoup plus vers l’examen de conscience que le vulgaire pamphlet
moralisateur.
Version française : -
Scénario : Jean-Pierre Darroussin, Valérie Stroh,
Emmanuel Bove (roman)
Distribution : Jean-Pierre Darroussin, Valérie Stroh, Amandine
Jannin, Anne Canovas
Durée : 104 minutes
Origine : France
Publiée le : 19 Juin 2007
|