LE PREMIER VENU (2008)
Jacques Doillon
Par Mathieu Li-Goyette
Le cinéma de Jacques Doillon est un cinéma qui mise sur
l'incompréhension des êtres humains. L'incompréhension
de la jeune Ponette, l'incompréhension éprouvée
lorsqu'on suit le périple de Costa, l'incompréhension
maintenant d'un trio de personnages motivés par un pathos pervers
et invitant. Fort d’une carrière alimenté par quelques-unes
des grandes prestations de son genre, son oeuvre se voit justement trop
souvent empêtrée dans les préjugés qu'on
aime bien lui trouver. Grande direction d'acteurs, mise en scène
retenue, on y oublie souvent les préoccupations qui motivent
le cinéaste à fournir, de sa filmographie éparse,
quelques fleurons du cinéma français. À l'égard
de ceci, Le Premier venu se voit fidèle à cette
fameuse réputation en affublant son intrigue dramatique de plusieurs
situations ne relevant plus de l'anecdotique ou du prétexte à
l'évolution-performance de ses comédiens. Camille, jeune
fille au charme mystérieux et à l'allure d'une femme fatale
innocente mène le récit de Costa incarné par Gérald
Thomassin qu'on retrouve dans la peau d'un personnage curieusement semblable
après près de vingt ans d'absence (en fait, depuis la
sortie du Petit Criminel) et d'un policier jamais en service
qui fait de l’oeil dans une ville campagnarde de France.
Mené à bout grâce à une coproduction France-Belgique
avec des moyens modestes et nécessaires, tout du film revient
au jeu d'amour violent entre Thomassin, en grand irrévérencieux
incapable de se ranger du monde de la rue, et Camille, interprétée
par Clémentine Beaugrand (dont ce premier rôle se voit
du domaine de la révélation). Des imbrications de la relation
et du jeu renversant de ses interprètes, la liaison des amants
balaie le petit monde entier de la ville portuaire: l'ex-femme du malfrat
autant que le policier hétéroclite. Tous amis, amants
ou maîtresses de chacun, l'amour n'est plus romantique, l'amour
est possession d'un être ; c'est une conquête et une preuve
de supériorité. Car des hommes, l'amour est la preuve
d'une réussite au sein de la société « normale
» (chez Costa par exemple), mais aussi la confirmation d'une autorité
que le policier se voit craintif de démontrer sous le plein jour
d'une communauté tissée serrée. Ces peurs de l'écusson
et de l'arme hantent les élans de violence de l'amant irrévérencieux
de Camille, premier venu à une soirée au cours de laquelle
elle subira le viol ou la passion, elle-même ne semblant pas s'être
accordée sur une notion différentielle. Principalement,
la notion de premier venu mène le récit de rencontres
en rencontres. Plutôt que de développer le filon narratif
à l'aide de raisons bien logiques de causalité, Doillon
préfère y aller d'un amoncellement de rencontres aguichantes
entre Camille, typiquement parisienne d'origine, dans la petite ville
où plusieurs regards convergeront vers sa présence et
se feront détonateurs des péripéties.
Si elle est un personnage incroyable par sa présence à
l'écran et par sa quête singulière d'aimer et non
nécessairement d'être aimé (comme la remarquable
boutade de Doillon-scénariste sur le Bescherelle révèle),
Camille se voit l'objet du désir des deux anciens amis de petite
école qu'elle attise par son jeu (au sens double). Bref, elle
reste toujours assez près des codes moraux et de l'immaturité
dont elle fait une qualité pour demeurer, au final, un personnage
sensé. Malléable en raison de ses différents partenaires
(incluant l'aventure courte avec un agent immobilier), la facilité
qu'elle a d'approcher la masculinité reflétée dans
ses yeux noirs de jaie envers ses prétendants et la violence
parfois incohérente de ces derniers force le film vers une abîme
d'éros et de thanatos, complexe freudien où la violence
s'allie de paire au sexe pour l'accomplissement du désir le plus
total – la sauvage folie de l'amour. Ou du moins, dans le cas
contraire, cette histoire de policier matraqué à coups
de bâton puis plus tard réconcilié avec son agresseur
ferait peu de sens. Comprenons tout de même bien que Doillon ne
joue pas les psychanalystes ; même avec Ponette (aux
allures parfois d'essai sur l'enfance), son but n'aura probablement
jamais été de déguiser une complexité de
l'homme en « théorie des émotions ». D'ailleurs,
doux souvenirs de la jeune Thivisol du film précédemment
mentionné, la jeune fille de Costa fait apparition à mi-chemin
de la relation entre Camille et son père. Premier venu aussi
aux yeux de son jeune trésor de 5 ans, Costa, qui refuse de la
voir depuis plus de trois ans, n'est donc pas à proprement dit
encore son père, mais plutôt un étranger refusant
d'aider le duo pauvre qu'elle forme avec l'ex-femme de ce dernier: un
chaos de clichés entrechoqués.
Encore que la relation soit délaissée au profit des folies
du couple en cavale – la figure archétype de la femme fatale
du film noir y prend donc en pertinence – et que certains dénouements
tanguent vers la résolution facile, Le Premier venu
présente l'auteur Doillon dans une grande forme. Appliqué
au dialogue comme à la mise en scène, le film n'en est
ni plus ni moins qu'une série d'excellentes décisions
de cinéma à l'avantage d'une histoire peu banale dans
sa psychologie, mais dont la surface paraît tout à fait
conventionnelle. D’un romanesque qui s’avère entièrement
cinématographique, Le Premier venu témoigne soit
de bon génie, soit d'une capacité presque effrayante à
explorer la toile des sentiments d'un couple transposé à
toutes ses étapes (rencontre, vie commune, séparation,
après-séparation et même tromperie) et à
la relation parfois houleuse entre un père et sa fille depuis
longtemps séparés ; Costa tente de se réconcilier
avec sa fille sur une plage brunâtre à l’allure balnéaire
honteuse d’être si « telle quelle » face à
l'image qu'elle devrait dégager. C'est d'une poésie dont
Doillon nous parle dans ses plans contemplatifs, mais d'une poésie
perverse à l’intérieur même de ses acteurs
songeurs. Souvent face à la nature, le regard des personnages
se perd au loin dans une infinité quittant le cadre ; ils en
détestent les concepts définis, les raccords de regards
nerveux. Non, ils préfèrent cette manie hygiénique,
presque méthodologique, de quérir ces fausses allures
d'improvisations. Des comédiens enfin libérés avec
grâce de toutes contraintes théâtrales, même
cinématographiques.
Version française : -
Scénario :
Jacques Doillon
Distribution :
Clémentine Beaugrand, Gérald Thomassin,
Guillaume Saurrel
Durée :
121 minutes
Origine :
France, Belgique
Publiée le :
15 Octobre 2008