POSTAL (2007)
Uwe Boll
Par Louis Filiatrault
L'une des rares « qualités » que l'on puisse attribuer
au metteur en scène qu'est Uwe Boll, c'est de ne pas se faire
d'illusions quant à son talent (ou son incompétence, pour
être plus exact). À la naïveté enthousiaste
d'un Ed Wood, l'Allemand oppose cependant un mépris sardonique
pour le monde extérieur et un mauvais goût des plus appuyés.
Mais là où les entreprises précédentes du
réalisateur (In the Name of the King, Alone in the
Dark...) étaient mues par un opportunisme vulgaire et une
volonté apparente de provoquer la colère du spectateur
à tout prix, ce Postal tout aussi mal régurgité
semble à tout le moins animé par le désir de s'attirer
un minimum de sympathie, ne serait-ce qu'auprès d'une certaine
minorité. Oeuvre beaucoup plus « personnelle », ce
plat gourmet aux thématiques sociales savamment développées
tranche en effet avec les fantaisies horrifiques et médiévales
d'antan, frappant une corde sensible bien plus universelle. Plus sérieusement,
force est d'admettre qu'il se trouve un malin plaisir dans le visionnement
d'un film ratant ses cibles avec autant d'entrain, puis continuant son
bonhomme de chemin sans plus de grâce que de gêne.
Fidèle à ses habitudes, le maître Boll pige son
matériel à même le réservoir créatif
inépuisable qu'est le monde du divertissement interactif. Mais
Postal diffère d'autres adaptations pourries de jeux
vidéo comme Hitman ou Resident Evil (et peut-être
l'imminent Max Payne, dont le résultat ne pourrait être
plus incertain) en ce que sa source n'est pas généralement
reconnue pour sa grande qualité ludique ; bien au contraire.
On en déduit que c'est davantage le caractère anarchique
du produit que ses promesses de rentabilité qui titilla la sensibilité
de l'auteur. Et en un sens, Postal s'avère l'une des
transpositions les plus fidèles de l'écran (d'ordinateur)
à l'écran (de cinéma): défoulements simplets
appauvris par une tension dramatique tout simplement inexistante, les
jeux vidéo initiaux étaient déjà affligés
des traits empêchant le film de s'approcher de la moindre parcelle
de pertinence en tant que simple divertissement (et encore moins en
tant que commentaire social). Le génie du crime est bien sûr
d'avoir embrassé cette idiotie pour ce qu'elle valait ; de pousser
la farce jusqu'à l'extrême plutôt qu'à mi-chemin.
En effet, il se détecte dans Postal une authentique
tentative de soutirer une réaction au spectateur, et ce quelle
qu'elle soit. Aucune image n'est jugée trop poussive: des enfants
sont assassinés sur la place publique, une femme énorme
se fait répandre de la farine sur le corps durant la baise, et
un chat est mis en service pour étouffer le son de coups de feu.
Une poignée de gags transpirent même une sorte de créativité
outrancière franchement surprenante ; à ce titre, l'emploi
d'un paralysé en guise d'escabeau ressort comme l'un des instants
comiques les plus « inspirés » de l'effort. Mais
l'instabilité de l'ensemble est un facteur important de l'efficacité
de ces quelques moments. Tous ces chocs sont en effet insérés
au sein d'une progression narrative absolument nulle, décrivant
les aventures d'un héros creux comme un bocal (mais roux comme
un renard) au milieu d'un conflit impliquant le régime taliban
et une cargaison de dispendieuses figurines à forme phallique.
Agencées dans la confusion la plus totale et montées n'importe
comment, les esquisses de satire débouchant sur des explosions
de violence de la part des citoyens ou des autorités s'enchaînent
sans provoquer de plaisir autre que celui de constater la mollesse d'une
exécution risible, déclenchant tout de même le flux
d'adrénaline à quelques occasions. Des prestations tout
à fait aberrantes, du recyclage de Verne Troyer (le « fameux
» nain de Austin Powers) à celle d'un insupportable
gros bonhomme qu'il ne servirait à rien de nommer, achèvent
d'enfoncer le clou d'une médiocrité asphyxiante.
Postal est le genre de film salissant le nom de quiconque s'y
frotte de près ou de loin ; à cet égard, les brèves
apparitions de l'excellent J.K. Simmons sont à la fois navrantes
et réjouissantes, insultant son talent tout en fournissant au
film quelques instants de réel bonheur. Encore une fois, très
conscient de ce statut de film-déchet, Uwe Boll pousse l'audace
jusqu'à se mettre en scène lui-même dans le rôle
du fondateur de la «Petite Allemagne» de la ville de Paradise.
Mais non content d'un simple caméo, le réalisateur en
profite pour faire surgir de nulle part l'auteur du jeu vidéo
original et coucher sur pellicule ce dont il rêvait depuis longtemps:
un échange de coups de poing entre sa personne et l'un de ses
détracteurs l'accusant (ici faussement) de profaner l'esprit
de sa création. D'autres références à la
corruption morale et à la pauvreté artistique de toute
la chose renforcent un discours autodérisoire d'une insignifiance
totale, mais néanmoins d'une transparence et d'une honnêteté
supérieures à celles des sous-produits de comédie
habituellement déféqués par Hollywood. Pour ce
qui est de l'humour « politique », Postal se débrouille
aussi légèrement mieux (c'est-à-dire moins mal)
que bien d'autres rebuts suivant la tendance cynique du moment, Harold
& Kumar en tête. Une vision grinçante mais désespérément
facile, synthétisée dans un amusant dernier plan évoquant
Dr. Strangelove, mais résumant aussi une parfaite incompréhension
de ce que doit (ou même peut) être la comédie satirique.
Seul contre tous, face à des adversaires mieux pourvus en moyens
ou en matière grise que lui, le cinéaste le moins défendable
de la planète se replie donc dans ses seuls instincts grotesques
afin d'affirmer farouchement son indépendance, que celle-ci vaille
d'être protégée ou non. Le festin de nullité
en ressortant se présente donc certainement comme l'un des films
les plus terribles de mémoire récente, singeant ses pairs
plus cohérents sans avoir la moindre idée de ce qui fait
leur intérêt, mais aussi une curiosité infiniment
plus intéressante que toute une cohorte de navets «professionnels»
garnissant les salles durant les saisons mortes. Passez les munitions!
Version française : Postal
Scénario : Uwe Boll, Bryan C. Knight
Distribution : Zack Ward, Dave Foley, Chris Coppola, Jackie Tohn
Durée : 100 minutes
Origine : États-Unis, Canada, Allemagne
Publiée le : 17 Septembre 2008
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