PONYO (2008)
Hayao Miyazaki
Par Mathieu Li-Goyette
C'est généralement au maître de ukiyo-e Hokusai
à qui l'on prête le titre de pionnier de l'esthétique
manga. Plus largement reconnue à la première estampe des
Trente-six vues du mont Fuji, La Grande vague de Kanagawa
est aussi l'oeuvre la plus célèbre de l'artiste, l'une
des plus prestigieuses et celle qui, depuis 1831, aura instauré
les canons esthétiques du dessin populaire japonais. Finement
détaillée, accompagnant des marins perdus en haute mer,
la vague est apprêtée par des couleurs claires, précises
et un trait large et élégant sans esquisse qui imbibe
un papier bien poreux et confie au pinceau de Hokusai une légère
incertitude sur les arêtes qui délimitent ces forces de
la nature submergeant les hommes pris au piège. Prenant la décision
de conférer à son dernier long-métrage les matériaux
du pastel, de l'encre et du cellulo, c'est à la fois une décision
nostalgique et humble pour le cinéaste d'animation Hayao Miyazaki
de retourner aux premières amours de l'animation au cinéma.
De retour aux premières techniques popularisées par Disney
et les Fleischer, de retour aussi aux racines du manga chez Hokusai,
Ponyo raconte l'histoire d'une petite princesse poisson amenée
à se lier d'amitié avec un jeune garçon habitant
une maison au bord de la mer. Pourchassée par son père
inquiet de la présence des humains dans un monde en déroute,
Ponyo devra prouver que l'amour qui l'unit à Sosuke est véritable
et, qu'en dehors du fait qu'ils n'affichent un âge supérieur
à 5 ans, leur amitié amoureuse est de celle que l'on ne
retrouve que dans les contes de fées.
Il y a alors une conscience historique de la part de Miyazaki qui se
développe. Tout d'abord, celle de venir après la sirène
de Disney, mais aussi celle d'un maître maintenant observé
de par le monde. Si les intrigues qui lui étaient chères
le sont encore, mais différemment, Ponyo détonne
par l'universalisme qu'il dégage. Sans pénétrer
dans un univers qu'il nous donnait à voir, ici nous sommes conviés
à assister à l'évolution d'un petit poisson en
fillette, à être témoin du miracle de la vie et
de l'amitié passé sous le signe d'un destin si fort et
si beau qu'il se veut définitif dès le plus jeune âge
des protagonistes. Cinéaste d'anthologie, celle de Miyazaki est
particulièrement forte en récurrences (conscience écologique,
nature plus grande que nature, personnages féminins, mondes dissimulés
sous notre monde) qui sont surtout celles d'un univers cohérent.
Emprunté à la fois aux préceptes de la culture
japonaise et à celle de l'après-guerre, l'oeuvre de Miyazaki
a cependant toujours été (et l'est encore) l'une des plus
inoffensives en son genre. Le Miyazaki « Wonderland »
dans lequel l'enfant comme l'adulte prend plaisir à entrer est
de plus en plus merveilleux, mêle de plus en plus habilement le
quotidien aux accessoires de l'imaginaire de son auteur et c'est en
ce sens que Ponyo y représente l'apothéose la
plus complète et la plus délicate présentée
depuis Princesse Mononoké.
Genèse du manga, genèse de l'animation, genèse
de l'homme qui fut autrefois poisson, Miyazaki forge un récit
des origines pour des personnages innocents qui s'apprêtent à
grandir dans l'univers miyazakien, à en devenir des
membres à part entière. Épaulés par une
mère d'une gentillesse formidable qui ne se pose pas de question
(une petite fille poisson quand même!), les enfants, une fois
la tempête venue et le pays submergé, peuvent enfin voguer
de leur propre chef à bord d'un bateau miniature miraculeusement
grossi par le pouvoir de Ponyo. Une fois le voyage terminé, une
fois l'épreuve achevée, la fillette redevient poisson,
le bateau redevient jouet. Comme Miyazaki est un conteur et comme il
est aussi cinéaste, le père et la mère de Ponyo
interviennent, félicitent les enfants pour le voyage et permettent
à leur fille de devenir humaine à tout jamais. Du poisson
à l'homme, l'humain, pour évoluer, se devait d'apprendre
l'imagination, le rêve, l'espérance et surtout la maîtrise
de la magie à partir d'un monde qui n'en n'a jamais contenu.
Ce monde, il est submergé dans les déchets marins sur
lequel le père de Ponyo se fracasse la tête à chaque
sortie, c'est celui où les plus compatissantes restent les vieilles
dames du centre d'aide aux aînés et c'est celui où
le père de Sasuke fait vivre sa famille en étant capitaine
du même navire qui pollue les rives de la ville: cercle vicieux.
Ponyo n'est pas non plus moralisateur et reste conscient de
la nécessité des pêcheurs tout en s'insurgeant comme
il se doit devant les résultats obtenus (comme une certaine chasse
aux phoques... mais passons). Ayant toujours confronté ses personnages
à des forces surnaturelles, la vengeance des esprits du monde
et du sous-monde que caractérisait l'ensemble de son oeuvre se
transporte dans l'océan, dans ce sous-monde altéré
par notre intrusion qui ne sera pas plus nettoyé à l'épilogue.
Toujours sale, le cinéaste l'observe en mélancolique tout
en approuvant la récente union du plus innocent des deux; une
union qu'il aura manigancée dans l'espoir qu'ils règneront
plus intelligemment que l'auront fait lui et sa génération.
Parce qu'il a depuis longtemps maîtrisé les difficultés
du cinéma d'animation (à savoir de recréer le merveilleux
de 18 à 30 fois par seconde à partir du néant:
une entreprise autrement plus périlleuse que de le repiquer à
la réalité de la prise de vue réelle), Miyazaki
est vraisemblablement parvenu à un certain point de saturation
où il accumule les opus populaires contre qui il s'avère
le principal adversaire. Adulé par les gens de tous âges
(et particulièrement au Japon où certaines des chansons-titres
de ses films servent d'hymnes à la maternelle), le cinéaste
essaie tant bien que mal de ne pas se répéter et d'offrir
de nouvelles trouvailles visuelles (lui qui nous en a déjà
fait découvrir autant) et qui prétend depuis son Voyage
de Chihiro en 2001 qu'il prendra sa retraite une fois son prochain
film achevé.
Mais il planifie toujours, dessine encore et tourne sans arrêt.
Systématiquement, à tous les 4 ans (et parfois moins)
depuis 1979. Bien que les Américains aiment lui décerner
le titre de Walt Disney japonais (titre qu'il déteste, et avec
raison, d'ailleurs), Miyazaki est parvenu avec Ponyo à
refuser complètement les conventions manichéennes du film
pour enfant, à faire d'une mise en scène complètement
« manuelle » un chef-d'oeuvre d'expressivité technique
et d'utilisation des vieux matériaux. En fait, pas depuis Mon
voisin Totoro un film d'animation largement distribué n'aura
réussit l'exploit de présenter aux enfants un monde qui
leur appartient autant et où la grandiloquence s'écarte
pour leur léguer un espace fictif qui n'est pas nécessairement
régit par les lois actantielles de ses personnages. Écrit
comme une petite comptine à rime de Ponyo et de Sasuke, les deux
petits barbotent et s'échangent les câlins les plus tendres
qui soient sans ne jamais y chercher une dramatisation excessive ou
la naissance d'une tragédie à venir; elle n'existe fondamentalement
pas de toute façon sous la perspective d'un enfant de leur âge.
Servi par une bande-sonore toujours aussi éclatante et basée
sur des variations orchestrales de rythmes traditionnels, Ponyo
est aussi un festival visuel de couleurs pastels et de teintes chaleureuses.
Ce petit poisson aux yeux disproportionnés, ces vagues totémisées,
ces navires prisonniers de la Mère Nature de l'océan,
Miyazaki signe un de ses plus beaux films, mais surtout l'un de ses
plus sensibles aux enjeux de l'enfance et du monde adulte - voilà
l'éternel tandem des conteurs entre leur art les enfants - qui
s'est éloigné de l'abstraction et du plaisir sans quoi
il se serait rapidement aperçu de ses bévues. Heureusement,
il y en a encore qui ont l'humilité de s'avouer fautifs.
Version française :
Ponyo
Version originale :
Gake no ue no Ponyo
Scénario :
Hayao Miyazaki
Distribution :
Yuria Nara, Hiroki Doi, Jôji Tokoro, Tomoko
Yamaguchi
Durée :
100 minutes
Origine :
Japon
Publiée le :
17 Août 2009