LE PIÈGE AMÉRICAIN (2008)
Charles Binamé
Par Mathieu Li-Goyette
C’était le temps de la Révolution tranquille, de
l’affirmation du Canada français en Québec. C’était
aussi le reniement de notre réputation forgée dans le
martyr, la souffrance remplacée bientôt par une quête
assoiffée d’idoles provocantes et de symboles rassembleurs.
Abordé dans cette optique, Le Piège américain
raconte la vie trépidante de Lucien Rivard, ancien narco-trafiquant
québécois ayant œuvré de Cuba à Montréal
en passant par Dallas jusqu’à avoir été impliqué
dans l’assassinat du président John F. Kennedy. Cette relique
de l’époque de notre héroïsme québécois
frappe par son désarroi et l’effort vain d’avoir
tenté de jouer dans la cour des grands nababs américains.
Rapatrié à Montréal puis emprisonné, Rivard
se fait bientôt, lui aussi, héros martyr et trahi à
l’image d’un peuple qui s’était jadis imposé
des pointures plus grandes que nature. Armé de Rémy Girard
dans le rôle-titre, d’un Charles Binamé en possession
de ses moyens comme jamais, Le Piège américain
se déploie d’abord devant nous comme un brillant mémorium
de l’après Grande noirceur, ensuite comme candidat potentiel
de notre J.F.K. national.
Du moins, c’est l’espérance que nous avons jusqu’à
ce que l’on se penche sur le scénario. Écrit par
Fabienne Larouche, dont la réputation précède ses
projets (interprétez à votre guise), le scénario
du Piège américain est truffé de lacunes
et ne parvient qu’à banaliser l’ensemble. Là
où l'on comprend bien l’intention de l’écrivaine-productrice
à édifier le passé d’un homme vers de nouveaux
cieux pour lui rendre hommage dans la mesure de son importance dans
les années 60, on bloque aussitôt face à sa prise
de position. Lorsque Le Dernier Tunnel d’Érik
Canuel y échappait, le Piège tombe sous le charme
de Lucien Rivard en lui rendant un hommage où le crime paît
et où «Lucien Rivard mourut paisiblement en 2002».
Nous offrant d’entrée une piste narrative intéressante
lorsqu’on débute par Rivard nous racontant en prison l’histoire
de sa carrière, le filon n’est plus exploité jusqu’à
ce qu’on le retrouve dans cette cellule beaucoup plus tard en
oubliant carrément d’utiliser le plein potentiel de cet
aller et retour.
Plus problématique encore sont les hasards du scénario
où l’action des personnages est vulgairement mise de côté
en nous transportant d’un lieu à un autre, où l’on
n’assiste qu’aux conséquences des actes posés
par les complices de Rivard ailleurs dans le monde. Muté en jeu
de conséquences banales, c’est une tempête dans un
verre d’eau au niveau dramatique et non le jeu insidieux souhaité
de malfrats terrés dans la société. Dans cet univers
peu plausible où tout le monde parle anglais, mais aussi mystérieusement
français, la prestance recherchée chez Rivard ne donne
vraisemblablement aucune chance à Rémy Girard qui doit
plus souvent qu’on ne l’a vu récemment dans notre
cinéma côtoyer les grands noms du fils de Rockefeller,
Bobby Kennedy, Bonano et j’en passe. Dialogues où ces personnalités
connues auraient pu se démarquer et atteindre une certaine crédibilité,
ils se retrouvent tous au même pied d’égalité
où on aurait peine à différencier le jargon du
politicien à celui du malfrat. La couleur des dialogues, pourtant
la caractéristique de mise pour le gangstérisme au cinéma,
n’est définitivement pas au rendez-vous.
À tout le moins, le jeu nonchalant et scrupuleux de Rémy
Girard et de ses collègues de l’écran (Colm Feore
en parrain remarquable) sauve les meubles d’une entreprise ambitieuse.
À se débrouiller avec un scénario chancelant et
des dialogues qui le sont tout autant, les performances parviennent
en de rares occasions à nous faire oublier le flagrant manque
d’intérêt à poursuivre l’écoute
d’un film qui s’enfonce séquence après séquence
dans le cliché d’un cinéma de série B, de
télévision bref (oublions les liens aisés entre
la scénariste-productrice et son passé). Peut-être
seul autre point d’intérêt du film, la réalisation
minutieuse de Charles Binamé en pleine possession de ses moyens
et qui prouve avec son dernier-né qu’il est prêt
à franchir de nouveaux sommets. Facilement du calibre américain,
c’est un festin pour les yeux à coup d’éclairages
tamisés, contrastés, d’une aisance peu vue ici quant
aux mouvements de caméra, bref, le bal masqué auquel le
cinéaste souhaitait nous invité fonctionne, est attrayant,
mais ne nous entraîne pas avec lui. Faute à ses invités
et leurs conversations bancales, trop peu provocantes à la limite.
Le Piège américain est un film qui, en bout de
ligne, ne pourra cacher son échec (financier puis critique) derrière
les typiques contraintes de production en ce qui a trait au scénario.
Film désespérément en quête de son propre
héros, il se révèle finalement aussi pathétique
que ceux qui avaient bien pu élever Lucien Rivard au rang d’idole
nationale. Constat dont on aurait pu se passer vu l’intérêt
premièrement manifesté sur le sujet, la catastrophe se
voit évitée de justesse par la mise en scène et
la distribution étincelante. À l’image des récents
blockbusters québécois (La Ligne brisée,
Nitro, etc.) le nouveau mouvement amorcé par Bon
Cop, Bad Cop aura été de courte durée si l’on
s’en tient à la tendance nivelée vers le bas des
deux dernières années. À souhaiter jouer vulgairement
dans la cour des grands, le maniérisme apparaît de plus
en plus comme étant une maladie de notre cinéma national.
En ces temps où les blockbusters américains cumulent les
recettes à succès, la survie ne passe peut-être
que par une cinématographie redécouvrant les sentiers
longtemps abandonnés qui nous caractérisait auparavant.
Borderline et Continental, un film sans fusil rappelant
l’errance post-référendaire des années 80,
La Brunante comme agréable rime des années 60
et ainsi de suite. À tout le moins, si les tentatives de charmer
l’audience québécoise en combat singulier face au
géant américain se perpétuent, qu’elles soient
capable de leur tenir tête. Dans le cas contraire, ce crépuscule
des [de nos] idoles opéré à travers les récents
échecs commerciaux et critiques de tels films ne parviendra qu’à
faire ressortir au grand jour les faiblesses de notre cinéma
pourtant en plein redressement.
Version française : -
Scénario :
Fabienne Larouche, Michel Trudeau
Distribution :
Rémy Girard, Colm Feore, Janet Lane, Larry
Day
Durée :
110 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
17 Juin 2008