PETIT POW! POW! NOËL (2005)
Robert Morin
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Visiblement nerveux, Robert Morin annonce son Petit Pow! Pow! Noël
comme un trip exhibitionniste dont il ne sait trop que penser. C'est
l'aboutissement d'un cheminement personnel et familial qu'il accepte
finalement de partager avec le public, après un an et demi de
réflexion et d'hésitation. Il est normal que Morin se
soit retenu un moment avant de partager avec le public son plus récent
essai, qu'il ait voulu durant un certains temps le garder à l'abri
des regards indiscrets. Mais il est aussi tout à son honneur
de l'avoir finalement projeté, poursuivant ainsi cette démarche
exceptionnelle d'honnêteté et d'authenticité qui
en a fait l'une des figures proéminentes de l'univers du cinéma
indépendant québécois des vingt dernières
années.
Pour bien comprendre Petit Pow! Pow! Noël, il faut connaitre
le contexte de sa création. Plus précisément, il
faut le situer par rapport à la vie privée de son auteur,
ici intimement liée à sa vie artistique. Parce que le
nouveau Robert Morin est une courageuse fiction vaguement autobiographique.
Car ce monstre de fiel et de frustration, il a décidé
de le tourner avec son propre père en espérant ainsi qu'il
pourrait éclairer sa relation tumultueuse avec celui-ci. Avec
Petit Pow! Pow! Noël, le réalisateur québécois
a accepté de subir ce qu'il faisait subir aux autres. Il y pointe
son arme de prédilection, la caméra, sur lui-même.
Où plutôt, comme le fait ce personnage qu'il interprète,
il l'interpose entre lui-même et la réalité pour
se protéger. Après cet étonnant Nèg'
où il jouait les réalisateurs conventionnels avec une
formidable dextérité, Robert Morin revient au style direct
qui l'a fait connaitre pour ce long-métrage aussi déstabilisant
que réussi.
Vous vous attendiez à quoi? Au Miracle sur la 34e rue?
Au moins quand Morin veut nous foutre une volée, il ne se gêne
pas pour le faire. Il n'y a que les menteurs éhontés qui
oseront affirmer que Petit Pow! Pow! Noël n'est pas venu
chercher et surtout trouver quelque chose en eux. Qu'on l'aime ou non,
le nouveau Morin est à l'image de ses prédécesseurs.
Il fait réagir vivement et provoque de force la réflexion.
Une réflexion sur quoi, au juste? Sur un peu tout, comme tous
les vrais bons films réalisés en ce bas-monde, mais plus
précisément sur ce bel âge qui n'a rien de bien
beau dans le monde moderne. Dans ce Pow! Pow! retentissant et cru, l'âge
d'or sent mauvais la solitude et la merde à force d'être
vécu dans des entrepôts désincarnés où
l'on garde en vie des zombies gavés de médicaments dispendieux.
Pour le plus grand plaisir des compagnies pharmaceutiques qui font leur
profit en exploitant le mal-être des vieillards.
Ainsi, de l'acharnement thérapeutique au vieillissement de la
population en passant par le mépris entre les générations
et les inévitables relations père-fils qui sont le pain
et le beurre du cinéma d'auteur québécois, Morin
propose un survol carburant au barbiturique d'une foule de thèmes
tant intemporels que d'actualité. Petit Pow! Pow! Noël
est la confrontation schizophrène entre un homme débordant
de mépris et son vieux père muet, objet de ce mépris.
Paralysé depuis quarante ans, celui-ci dépérit
lentement dans un hospice jusqu'à ce réveillon fatidique
où son fils enragé débarque caméra à
la main pour lui régler son compte une bonne fois pour toute.
Nul besoin de dire que le simple fait que papa Morin ait accepté
de se prêter à l'exercice explosif proposé par fiston
tient de l'exploit.
À l'instar par exemple de Quiconque meurt, meurt à
douleur, Petit Pow! Pow! Noël est filmé par
un personnage. Comme dans un documentaire, il plane donc sur la réalité
du film cette conscience de la caméra qui vient influencer les
gens et altérer leurs comportements. L'oeuvre vidéo de
Morin exploite énormément cette idée, et vient
par le fait même nous remettre en question en tant que spectateur.
Le personnage de Morin dans le film affirme pour se justifier à
qui veut bien l'entendre qu'il réalise un film de famille, un
simple souvenir. Compte tenu des origines du projet, l'alter ego de
Morin parle d'une certaine façon pour l'auteur. Sommes-nous dans
toute cette histoire des voyeurs insensibles?
Cette frontière floue entre la fiction et le monde réel
crée un malaise permanent, une lourde impression qu'accentue
fortement ces images terribles de la réalité qu'ose nous
montrer sans concession Morin. Aussi efficace soit-il, le seul humour
à percer cette carapace malsaine et étouffante est noir
et méchant. Pour nous comme pour le réalisateur-interprète,
l'expérience tient un peu du masochisme. Mais si la fin étonnante
de Petit Pow! Pow! Noël remet en question la valeur thérapeutique
de l'exercice, celle de la méthode Morin ne se dément
pas. En nous confrontant aux horreurs du monde réel sans le filtre
adoucissant de l'esthétique filmique, Robert Morin perpétue
cette tradition de servir à son public le genre de cinéma
dérangeant et marquant qui mérite d'être mis au
monde. Même s'il faut qu'il se compromette un peu pour y arriver.
À partir de son incapacité à interagir avec son
propre père, Morin a réussi à édifier une
critique cynique et nihiliste de notre monde. Mais en s'investissant
corps et âme dans son processus créatif, il réussit
une fois de plus à nous laisser perplexe quant à la nature
de notre relation avec les images. Entre l'indiscrétion et le
cinéma, il y a une fine distinction que Petit Pow! Pow! Noël
menace constamment d'oblitérer. Que l'on retire du film un malaise
constructif ou une simple sensation désagréable relève
de nous seul. Mais, une fois de plus, l'enfant-terrible du cinéma
québécois a fait son boulot: remettre en question l'ordre
établi et déboussoler les spectateurs.
Version française : -
Scénario :
Robert Morin
Distribution : -
Durée :
91 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
18 Novembre 2005