A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

LE PETIT LIEUTENANT (2005)
Xavier Beauvois

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Il est impossible de dénombrer les films qui se sont penchés sur le milieu policier, soit pour en révéler les mécanismes internes ou au contraire pour les masquer d'un voile d'archétypes et de clichés aujourd'hui bien inscrits dans le subconscient populaire. À une époque où les forces de l'ordre n'ont pas la cote au cinéma comme dans la réalité, Le Petit lieutenant remporte un pari audacieux: nous les présenter sous un jour parfaitement humain en brossant un portrait honnête et rationnel de leur profession, à contre-courant des images simplistes les dépeignant comme corrompues et abusives. Alors que le tiède polar 36 Quai des Orfèvres nourrissait un mélodrame manipulateur des intrigues intestinales et des jeux de pouvoirs de la préfecture, L'Esquive d'Abdellatif Kechiche employait les policiers comme symboles de l'oppression raciale et sociale. Sans nier l'état de crise de la société française, le quatrième long-métrage de Xavier Beauvois arrive à nuancer le regard que pose le cinéma de l'Hexagone sur un métier autrefois glorifié, aujourd'hui malmené, qui demeure malgré tout l'un des piliers de l'ordre tel que le conçoit historiquement l'homme.

Fraîchement sorti de l'académie, Antoine est affecté à Paris où il est placé sous la direction d'une policière d'expérience. S'intégrant rapidement à ce nouvel environnement, le jeune homme découvre néanmoins que le boulot de flic comporte son lot de banalités et d'insignifiance. Pris sous son aile par sa supérieure, qui pour sa part lutte incessamment contre son passé d'alcoolique, Antoine participera activement à une enquête dont les principaux suspects ont commis une suite d'agressions et se retrouve très tôt sur le terrain. À partir de ce corps narratif somme toute dépouillé, Beauvois arrive à orchestrer un drame lucide et puissant axé sur des enjeux humains clairs et pertinents; s'il frôle de par ses ressorts dramatiques le mélodrame, Le Petit lieutenant s'amende et garde la tête froide grâce à une facture clinique d'une rigueur admirable.

Par cette précision dont il fait preuve, le film de Beauvois se penche sur un univers complexe et tente de comprendre ce code d'honneur qui lui est propre. Tout en prenant bien soin de conserver une certaine distance par rapport à son sujet, Le Petit lieutenant traite avec intelligence des rapports entre les hommes au sein d'une institution rigide où les transgressions sont possibles grâce à toutes sortes d'ententes tacites. Si bien que l'on assiste à une véritable scission entre l'univers «officiel» et la réalité externe à cette institution, où les officiers redevenus civils franchissent les barrières qu'ils sont tenus de faire respecter. Ce n'est pas la première fois que l'on voit deux policiers fumer un joint à l'écran; par ailleurs, la logique très systématique du film de Beauvois confère à cet acte une multitude de sens. Ici, la loi redevient une notion théorique flexible que l'individu est en droit de réévaluer selon ses valeurs personnelles.

Mais, surtout, Le Petit lieutenant est un fascinant exercice de démystification cinématographique s'attaquant aux dogmes associés à la représentation des corps policiers à l'écran: la question du racisme est abordée sans concession, tandis que le mythe du policier martyr est fracassé dans un élan de réalisme aussi cru qu'il est tragique. Refusant les préconceptions, le film de Beauvois impose la gravité à un monde que les écrans privent habituellement de sa vérité. Ce choix courageux aura un impact jusque dans l'esthétique d'un film qui préconise sans concession le rejet systématique des artifices et de l'illusion. Le cinéma semble avoir été relégué aux murs du commissariat, tapissés des affiches de ces oeuvres qui n'appartiennent plus qu'au royaume de la fiction.

Par extension, c'est à l'autopsie de tous les troubles de la France contemporaine que se consacre Xavier Beauvois: plus question, ici, de se cacher derrière les murs d'une illusion bercée d'archétypes rassurants. Parfait dans son rôle de jeune policier encore idéaliste, Jalil Lespert - que l'on a pu voir à quelques reprises chez Robert Guédiguian - propose une figure forte de la naïveté à laquelle peut s'identifier le spectateur face à une Nathalie Baye troublante de gravité en policière désillusionnée. Portrait d'une France divisée et névrosée, prompte aux excès populistes et réactionnaires, Le Petit lieutenant est l'un des films les plus pertinents que nous ait proposé l'Hexagone depuis belle lurette; en partie parce qu'il arrive à marier la tradition de réalisme du pays à son penchant pour l'auto-réflexion mais surtout parce qu'il se refuse à réduire sa situation actuelle au rang de simple paysage, décidant plutôt de confronter ses tensions les plus inquiétantes d'une manière intelligente et juste.




Version française : -
Scénario : Cédric Anger, Xavier Beauvois, Guillaume Bréaud, Jean-Eric Troubat
Distribution : Nathalie Baye, Jalil Lespert, Roschdy Zem, Antoine Chappey
Durée : 110 minutes
Origine : France

Publiée le : 14 Janvier 2007