PERSONA NON GRATA (2008)
Fabio Wuytack
Par Jean-François Vandeuren
Ce n’est pas tout le monde qui peut se vanter d’avoir grandi
aux côtés d’un véritable modèle de
dévouement humanitaire et, par la même occasion, d’un
sujet de film d’une valeur inestimable. C’est pourtant le
cas du cinéaste d’origine belge Fabio Wuytack, dont le
père, Frans, aura été l’une des pierres angulaires
des révoltes sociales et culturelles ayant eu lieu au Venezuela
durant les années 60. Quoi de mieux, donc, pour un premier long-métrage
documentaire que de dresser le portrait d’un être que l’on
ne connaît déjà que trop bien tout en faisant (re)découvrir
au reste du monde un chapitre de l’Histoire auquel nous n’accordons
souvent que trop peu d’importance? Fabio nous amène ainsi
à la rencontre de son paternel alors que ce dernier s’apprête
à retourner pour la première fois en trente ans en sol
sud-américain pour participer à une exposition entièrement
dédiée à son oeuvre - artistique et communautaire.
Le jeune réalisateur profitera pour sa part de l’occasion
pour s’entretenir avec divers individus ayant côtoyé
Frans alors qu’il travaillait en tant que prêtre dans l’une
des régions les plus pauvres du pays. À travers cette
série de témoignages, Wuytack fera ressortir les traits
d’un homme d’action qui aura contribué largement
à améliorer ce milieu en participant, notamment, à
la construction d’infrastructures qui auront fourni un toit à
un grand nombre de familles. Prenant de plus en plus à coeur
le sort de ses nouveaux compatriotes, Frans aura également pris
part à de nombreuses manifestations visant à améliorer
les conditions de vie de ces derniers. Un engagement qui lui aura attiré
les foudres de l’état qui, par deux fois, l’aura
expulsé de son territoire. Persona non grata retrace
ainsi avec fougue les exploits peu communs d’un homme qui aura
su redonner une certaine fierté à une population constamment
écrasée sous le poids d’un système dont les
divisions sociales sont encore très apparentes.
Évidemment, les habitants de La Vega se montreront d’abord
quelque peu sceptiques, voire même craintifs, face à tout
le bon vouloir de ce visiteur blanc sorti de nulle part - et figure
religieuse par-dessus le marché - qui affirmera pouvoir leur
venir en aide. Et pourtant, ces derniers ne pourront qu’être
abasourdis devant le nombre grandissant d’initiatives prises par
ce personnage énigmatique dans le but de véritablement
changer les choses. À commencer par ses positions face à
l’Église et la religion, lui qui encouragera ses «
nouveaux fidèles » à ne plus obéir aveuglément
à une institution qui ne se contente la plupart du temps que
d’imposer ses doctrines dans les régions troubles du globe,
et ce, sans nécessairement poser de gestes concrets pour en améliorer
la situation. Il faut dire qu’au-delà du contexte sociopolitique
dans lequel elle s’immisce, la trame narrative de Persona
non grata s’appuie essentiellement sur le charisme incroyable
et la richesse du vécu de ce mythe qu’incarne Frans Wuytack.
Le réalisateur retrace ainsi avec dynamisme cette histoire des
plus inspirantes tout en réussissant à imprégner
son public de la même énergie et du même entrain
qui poussèrent ses intervenants à partir en quête
d’un monde meilleur par l’entremise d’un mouvement
de protestation basé sur l’entraide, la débrouillardise
et cette mentalité non-violente que défendait jadis un
certain Gandhi. Ce n’est évidemment pas la première
fois que le septième art s’intéresse à ce
genre de personnages « historiques ». Persona non grata
demeure néanmoins un cas inusité, ne serait-ce que pour
les liens familiaux qui unissent ici l’artiste à son modèle.
Et si le portrait s’avère - on s’en doute bien -
des plus élogieux, celui-ci ne place fort heureusement jamais
son auteur en conflit d’intérêt alors que Fabio Wuytack
aura su rendre justice à chaque élément de son
film tout en s’effaçant toujours autant que possible derrière
la caméra.
Le réalisateur se démarque en ce sens de par son étonnante
capacité à se mettre à la place de son spectateur,
manifestant une grande curiosité durant les interventions des
différents individus interrogés ainsi qu’une attention
particulière aux détails dans le regard qu’il porte
sur leur univers. Ces rencontres seront d’ailleurs utilisées
par Wuytack comme principal fil conducteur du récit. Par le biais
d’une approche simple, mais diablement efficace, ce dernier parviendra
à soutirer un souvenir toujours très vif de ces événements,
lesquels comporteront, certes, leur part de drames, mais aussi d’anecdotes
savoureuses. Wuytack alternera alors savamment entre les chapitres à
saveur plus humoristique ou basés davantage sur l’action
et ces quelques épisodes un peu plus révoltants, mais
jamais tragiques. À l’image de l’excellent Man
on Wire de James Marsh, Persona non grata propose un savant
collage d’entrevues et de rares images d’archive auxquelles
se mélangent diverses séquences de reconstitution supportant
allègrement la trame narrative du film tout en lui conférant
un côté légèrement abstrait. Toute la brillance
de cette initiative sera d’ailleurs mise à profit lors
d’une scène dans laquelle Wuytack divisera un affrontement
entre manifestants et forces de l’ordre en deux espaces-temps
bien distincts, conservant toute la valeur symbolique de l’histoire
originale en isolant de nouveau les troupes de Frans sur cette plage
où elles se heurtaient aux vagues comme s’il s’agissait
de ripostes policières. Et si la facture visuelle de Persona
non grata ne se révèle jamais surchargée,
celle-ci réserve néanmoins quelques élans particulièrement
inspirés, tels ces superbes plans aériens de Caracas et
des bidonvilles de La Vega. La mise en scène de Wuytack va d’ailleurs
chercher tout son sens non pas dans la précision de ses cadres,
mais bien dans la rythmique on ne peut plus soutenue imposée
par un montage spectaculaire.
Le cinéaste belge impressionne ainsi de par la rigueur et la
sincérité avec lesquelles il aura su mener son projet
à terme, lui qui n’aura jamais cherché à
amplifier la nature du milieu observé ou des sujets abordés.
Au coeur de cette cité située à l’ouest de
Caracas où se côtoient plus de 200 000 habitants, Frans
Wuytack se sera imposé comme le héro d’un peuple
qui, comme tout bon leader, aura toujours prêché par l’exemple
plutôt que de laisser ses « armées » partir
seules au combat. Persona non grata propose ainsi un portrait
réalisé à hauteur d’homme d’un être
d’exception, célébrant ses nombreuses réalisations
tout en évoquant constamment la grande simplicité de leur
instigateur. Son grand retour en Amérique du Sud se fera d’ailleurs
dans le calme et la bonne humeur, lui qui semblera simplement rendre
visite à de vieux comparses comme s’ils ne s’étaient
jamais vraiment perdus de vue. Le tout avant d’effectuer une dernière
apparition publique où il réitérera ses positions
par rapport à ce projet de coopération globale auquel
nous devrions peut-être nous intéresser davantage. Évidemment,
Frans Wuytack aura constitué un cas problème tout au long
de sa présence sur le territoire vénézuélien
alors que l’état ne voulait pas répéter la
même erreur que la Bolivie dans le dossier du Che en faisant du
prêtre un nouveau martyrs du peuple en commandant son assassinat.
Ironiquement, c’est peut-être bien parce qu’il est
toujours en vie que Wuytack n’est pas une figure plus connue du
grand public aujourd’hui. Il s’agit heureusement d’une
situation à laquelle son fils aura su remédier avec ce
premier film grâce auquel il aura pu témoigner toute son
admiration envers son père en plus de rendre un hommage bien
mérité, et jamais excessif, à ce militant des arts
et de la justice sociale dont l’oeuvre est désormais immortalisée
sur pellicule.
Version française : -
Scénario :
Fabio Wuytack
Distribution :
Frans Wuytack
Durée :
80 minutes
Origine :
Belgique
Publiée le :
8 Octobre 2009