PEARL HARBOR (2001)
Michael Bay
Par Louis Filiatrault
Pearl Harbor est l'un de ces quelques films populaires produits
au cours de la dernière décennie dont la médiocrité
aberrante semble faire l'objet d'un certain consensus. Il correspond
au moment où le réalisateur Michael Bay, accompagné
de ses méthodes jouissives mais discutables, se fait attribuer
les clés d'une véritable cour des grands de Hollywood,
à savoir l'Histoire avec un grand H, ou plutôt à
cette tradition typiquement américaine que représente
l'hommage militaire. Certes, on pourrait nous poser la question: «
peut-on vraiment s'opposer à ce qu'une communauté culturelle
mette en représentation son patrimoine afin d'éduquer
ou de méditer à son sujet? ». Mais par sa manière
à la fois paradoxale et parfaitement logique (dans le sens où
cela sert ses intérêts) de contribuer aussi peu (pour ne
pas dire aucunement) à la discussion des enjeux militaires, d'entretenir
aveuglément un suprématisme cupide, sans autre ambition
que de reconstituer ses « victoires » afin de mieux les
perpétuer, Pearl Harbor fait figure d'arrogance exemplaire.
Danny Walker et Rafe McCawley, deux amis d'enfance malgré leurs
différences, deviennent pilotes pour l'Armée américaine
et font la rencontre, lors de leur entraînement, de l'infirmière
Evelyn Johnson. Après un bref idylle entre lui et la belle jeune
femme, Rafe est envoyé en mission spéciale et déclaré
mort. Bien évidemment, Danny, désirant consoler la bien-aimée
de son ami, s'en rapproche et découvre à son tour l'amour.
C'est alors que (!) Rafe refait surface et fait éclater la rivalité
entre ces deux hommes que l'alphabétisme et la virilité
séparent. Forcés à se réconcilier lors de
l'attaque de Pearl Harbor (atterrissant comme un cheveu sur la soupe
de cette histoire de la plus haute importance), Walker et McCawley prendront
part aux premières opérations de riposte rapide envers
le Japon, exacerbant ainsi l'héroïsme qui leur est fondamental.
Décidément fâcheuse, la guerre survient au moment
inopportun pour ces jeunes âmes innocentes qui ne demandaient
qu'à profiter de la vie. Mais maintenant qu'elle est déclarée,
il faut bien quelqu'un pour faire le ménage...
Dans Pearl Harbor, Michael Bay complémente sa surcharge
caractéristique, dans laquelle il a l'occasion de se complaire
au cours de pétaradantes séquences de destruction, d'une
stratégie de séduction populaire indispensable à
l'opération d'escamotage et de manipulation idéologique
en laquelle consiste le film. Par la légèreté de
son exposition en tant que film d'amour, Pearl Harbor, initialement,
divertit au sens le plus primitif. Il divertit. C'est-à-dire
qu'il détourne l'attention. Pendant au moins une heure, le film
évite systématiquement toute discussion soutenue de la
guerre qui, subrepticement, se prépare, se limitant à
de brèves vignettes - que l'on pourrait presque qualifier de
clins d'oeil - auprès des dirigeants japonais et dans les bureaux
du président Roosevelt (Jon Voight, méconnaissable, qui
d'ailleurs manque de conviction). En parallèle sont glissées
ça et là une multitude d'observations servant avant tout
à ennoblir les protagonistes ainsi que le caractère du
conflit imminent. Si bien que lorsque vient le moment de passer à
l'attaque, Pearl Harbor, ayant pratiqué l'obscurantisme
le plus total, révèle une bonne fois pour toutes le caractère
éminemment superficiel de son artifice déjà numérique,
se bute à sa conception étroite de la reconstitution historique
et ne fait que clarifier le sens de l'expression: « Beaucoup de
bruit pour rien. »
Nous aurions affaire à un produit épique passable, ne
serait-ce que par sa mise en scène, si les problèmes s'arrêtaient
là. Mais l'audace de Pearl Harbor est de transformer,
sans aucune forme de nuance, un moment de faiblesse bien réel
en récit de victoire imaginaire et absurde. Sa thèse veut
que le siège de la base militaire ait été le dernier
échec, toutes catégories confondues, enduré par
les États-Unis au cours de leur histoire (« After it,
there was nothing but victory », déclame un carton).
Récit, certes, de résistance et de courage, son aspect
le plus méprisable s'avère l'hostilité révoltante
se traduisant dans les violences, les vengeances bouillonnantes, «
justifiées » par l'attitude «sournoise» des
Japonais. Pour un film qui charmait d'abord par ses marivaudages, Pearl
Harbor semble subitement bien préoccupé par les enjeux
de politique étrangère, et ce uniquement lorsque sa fierté
et sa « liberté » sont en jeu. Pamphlet unidirectionnel
dont la naïveté n'égale que la colère enfouie,
il s'agit d'un objet pollué au véritable potentiel dangereux.
Les seuls succès du film, et encore sont-ils bien modestes, résident
bien sûr dans sa mise en scène. Avec l'habileté
technique qu'on lui connaît, Michael Bay s'inscrit dans la lignée
des maîtres de la forme épique hollywoodienne et orchestre
son hommage, aussi tapageur soit-il, avec un sens pictural indéniable.
Sa direction d'acteurs n'est pas aussi heureuse: Ben Affleck finit par
s'empêtrer dans ses affectations sudistes forcées, tandis
que Josh Hartnett, dans son style personnel de fragilité masculine,
se débrouille tant bien que mal avec un texte mal léché
tranchant les émotions en portions vulgaires. De son côté,
la ravissante Kate Beckinsale joue sensiblement un personnage à
qui il n'est attribué, cela devient clair, aucune forme de profondeur.
La distribution de soutien est uniformément excellente, faisant
spécialement ressortir du lot le toujours superbe acteur écossais
Ewen Bremner, et le mouvement d'ensemble est dynamique et coloré,
avant de devenir confus et lourdaud dans la dernière partie.
En fait, c'est au même rythme auquel se désagrège
la qualité de sa forme que le fond de Pearl Harbor s'avilit
et sombre dans des abysses de stupidité que peu d'institutions
savent mieux arpenter que les gros canons hollywoodiens. Présenté
comme une simple « commémoration », il s'agit d'un
cas éloquent où l'impérialisme américain,
filtré au travers de mécanismes déficients, trouve
le moyen de mal passer. Plutôt que de n'y voir qu'une perte de
temps, on peut choisir de profiter de son visionnement pour mieux comprendre
tout ce qui cloche avec la fiction américaine à grand
déploiement, et d'en sortir, bien que d'une autre manière
que celle souhaitée par le film, triomphant à sa façon.
On peut donc sans hésiter parler de Pearl Harbor comme
d'un objet aussi infect qu'incontournable...
Version française :
Pearl Harbor
Scénario :
Randall Wallace
Distribution :
Ben Affleck, Josh Hartnett, Kate Beckinsale, Cuba
Gooding Jr.
Durée :
183 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
7 Janvier 2008