PAS SUR LA BOUCHE (2003)
Alain Resnais
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Depuis quelques décennies déjà, le cinéaste
français Alain Resnais a abandonné le sérieux de
ses premières oeuvres pour se plaire - complaire, rectifierons
les plus cyniques - à une certaine forme de légèreté
cinématographique bien loin de la gravité de Nuit
et brouillard ou d'Hiroshima, mon amour. S'il n'avait
pas jusqu'alors délaissé les jeux formels qui avaient
fait sa renommée - on pense notamment à la forme labyrinthique
du diptyque Smoking/No Smoking ou à l'intégration
originale de la musique populaire dans On connaît la chanson
- l'auteur de L'année dernière à Marienbad
s'était par ailleurs assagi sur le plan du propos: la comédie
musicale de 1997, qui avait tout raflé aux Césars cette
année-là, n'était en bout de ligne qu'un ludique
chassé-croisé amoureux sans grande arrière-pensée.
Les films de Resnais ont maintenant des allures de réunions de
famille, d'un côté comme de l'autre de l'écran;
le même public se retrouve périodiquement, face à
la même distribution, pour écouter la même histoire
se répéter dans un décor différent. Nous
sommes cette fois-ci à Paris, en 1925, et c'est autour de quelques
romances bourgeoises que s'articule le récit dont nous fait part
Resnais.
Il y a d'abord Gilberte (Sabine Azéma), femme de George (Pierre
Arditi) courtisée à la fois par Faradel (Daniel Prévost)
et Charley (Jalil Lespert). Il y a aussi Huguette (Audrey Tautou), amie
de la famille amoureuse de ce dernier, et Arlette (Isabelle Nanty),
vieille fille soeur de Gilberte. George, riche métallurgiste
cherchant à s'enrichir toujours plus, ramène à
la maison un éventuel associé américain (Lambert
Wilson) sans savoir qu'il s'agit du premier mari de sa femme, dont il
ignore d'ailleurs jusqu'à l'existence même; s'ensuit un
jeu de chats et de souris, de secrets et de mensonges, autour duquel
s'articuleront diverses intrigues amoureuses.
Adaptation coquette d'une opérette de Maurice Yvain et André
Barde, Pas sur la bouche est, à l'image du théâtre
populaire auquel il livre un hommage propret, une petite frivolité
opulente sans réelle profondeur; le film de Resnais se satisfait
de son charme kitsch convenu, se complaît dans une réalisation
plate à en mourir répliquant plus souvent qu'autrement
la frontalité de la perspective théâtrale. Un autre
que Resnais aurait sans doute été rabroué sévèrement
pour cette mise en scène terriblement conventionnelle; mais la
critique française, c'est bien connu, épargne et louange
aveuglément ses icônes. Il n'y a ni vision du présent
ni pensée pour l'avenir à glaner de ce cinéma d'élite
essoufflé, qui se réconforte en se réfugiant dans
un passé stérilisé pour mieux oublier le monde
moderne. Quelques détails du texte original - l'attitude de l'Américain
et une amusante chanson pleine de hargne sur l'immigration, par exemple
- justifient peut-être l'intérêt que lui a porté
le cinéaste. Mais encore...
N'empêche, l'ensemble n'est pas complètement raté:
les décors de Jacques Saulnier s'amusent à souligner sur
le mode de la caricature les origines de l'oeuvre, tandis que la distribution
déborde d'un enthousiasme palpable. Pas sur la bouche
est loin d'être un mauvais film en son genre, mais il ne s'en
dégage finalement qu'une nostalgie facile. L'inventivité
et le naturel d'On connaît la chanson ont été
remplacés par une réalisation aux originalités
académiques doublée d'un style figé, à la
fantaisie forcée. Là où la précédente
comédie musicale de Resnais prenait son pied à célébrer
la culture populaire en cultivant par le fait même un certain
éclectisme, Pas sur la bouche se contente de ressusciter
le passée; on s'amusera à noter au passage la modernité
de certaines répliques, sans plus.
Somme toute, ce divertissement inoffensif et superflu courtise, dans
une veine plus classique, le même public qui s'était délecté
du 8 Femmes de François Ozon; c'est dire qu'il cultive
les préoccupations bourgeoises et s'entiche d'un style rétro
pour mieux plaire à tous et ne choquer personne. Resnais se serait-il
finalement égaré à force de faire dans la légèreté
calculée? Force est d'admettre que la question se pose suite
à une écoute de ce film « pétillant »
débouché depuis trop longtemps. Morale de l'histoire:
ne faites plus jamais confiance aux Cahiers du cinéma.
Version française : -
Scénario :
André Barde
Distribution :
Audrey Tautou, Sabine Azéma, Isabelle Nanty,
Pierre Arditi
Durée :
115 minutes
Origine :
France, Suisse
Publiée le :
11 Mai 2007