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PAPRIKA (2006)
Satoshi Kon

Par Jean-François Vandeuren

La particularité du cinéma d'animation de Satoshi Kon est que l’on imagine facilement ses œuvres être transposées dans un contexte réel. Pour ses trois premiers longs-métrages, le cinéaste japonais n’utilisa pas cette technique dans le but de mettre sur pied un univers fantastique aux possibilités infinies, mais plutôt pour alimenter une histoire contemporaine fort simple en apparence (qu’il complexifia à tout coup de façon magistrale) d’une folie narrative à la fois enivrante et étourdissante. Les deux cas répondant le mieux à cette description demeurent évidemment le grandiose thriller psychologique Perfect Blue et la course contre la montre du survolté Millennium Actress. Avec Paprika, Satoshi Kon conjugue le meilleur des deux mondes et nous offre une fois de plus un film au rythme endiablé qu’il tonifie d’une abondance de séquences époustouflantes que seule l’animation japonaise semble encore vouloir se risquer à produire.

C’est dans l’univers des rêves et de l’inconscient que s’élève cette fanfare des plus colorées. Même si énergique à souhait, les bases du scénario du quatrième film de Satoshi Kon se veulent tout de même assez inquiétantes. Dans Paprika, une équipe de chercheurs inventèrent une machine devant permettre aux psychiatres de visualiser et d’analyser les rêves de leurs patients. Malheureusement, cette invention révolutionnaire fut dérobée et les responsables du projet découvriront bien assez tôt qu’entre de mauvaises mains, son utilisation peut avoir des conséquences particulièrement néfastes sur l’ensemble des habitants de la planète. L’équilibre entre le rêve et la réalité n’aura jamais été aussi menacé.

Plus ambitieux et éclectique que jamais, l’univers cinématographique de Satoshi Kon atteint ici de nouveaux sommets. Cette version apocalyptique de La Science des rêves de Michel Gondry nous entraîne à vive allure dans un récit dont les principaux personnages se retrouvent une fois de plus aux prises avec une situation où ils ne peuvent plus différencier le monde des rêves de la réalité. La particularité dans ce cas-ci est que le cinéaste japonais ne limite pas cette prémisse qu’à un seul personnage et le nombre d’individus concernés par les enjeux de son film croît à chaque instant. Tout comme Michel Gondry pour le « stop-motion », Satoshi Kon et son équipe se surpassèrent sur le plan esthétique. La qualité de l’animation dans Paprika s’avère en soi irréprochable et rivalise avec la finesse et la profondeur des meilleurs essais du genre. Satoshi Kon image ainsi de façon flamboyante l’essence des rêves comme une entité capable de donner la vie à n’importe quel objet, un endroit où les fantasmes et l’irréel se croisent de façon souvent improbable sans être forcément hors de tout contrôle.

Le cinéaste japonais réutilise également plusieurs stratagèmes visuels forts astucieux qui seront devenus sa carte de visite au fil des ans. Ce sont d’ailleurs certains de ceux-ci qui donnent le ton à ce quatrième effort lors d’une séquence d’ouverture absolument abracadabrante qui est d’autant plus appuyée par la trame sonore rayonnante et judicieusement tapageuse de Susumu Hirasawa. Comme dans Perfect Blue et Millennium Actress, le cinéma lui-même occupe une place de choix dans Paprika. Alors que pour ses deux premiers films le septième art servait respectivement de milieu et carrément de dynamique au récit, cette fois-ci, Satoshi Kon médite sur l’influence du médium dans la vie de tous les jours à même la forme de son intrigue. Ce dernier s’interroge du coup sur la place qu’occupe le cinéma autant au niveau de l’imaginaire que dans la réalité, en particulier en ce qui a trait au fonctionnement des rêves et de la mémoire et à la façon dont nous tenons tous en quelque sorte le rôle principal de cette gigantesque production qu’est notre existence. Les citations cinématographiques et artistiques sont également très nombreuses, passant des précédents opus de Satoshi Kon à de courtes références à From Russia With Love, Tarzan, The Cell, Akira, en plus des nombreux contes pour enfant dont s’alimente le scénario de Satoshi Kon et Seishi Minakami.

En plus d’ajouter un quatrième bijou d’animation à une feuille de route déjà extraordinaire en soi, Satoshi Kon signe avec Paprika son effort le plus ambitieux à ce jour et rejoint les Katsuhiro Ôtomo et Hayao Miyazaki dans les rangs des cinéastes d’animation les plus importants de son époque. Paprika mélange ainsi monde imaginaire et intrigue policière comme l’avait fait Tarsem Singh avec The Cell, remplaçant toutefois le côté morbide de ce dernier par une facture visuelle on ne peut plus hyperactive et colorée. Satoshi Kon signe d’une main de maître un spectacle visuel plus grand que nature sur lequel le réalisateur affiche une maîtrise hors du commun grâce à un scénario d’une intelligence et d’une créativité vivifiantes. À la manière d’une étrange collaboration entre Jean-Luc Godard et Ôtomo, Satoshi Kon élabore à même ses élans cataclysmiques un superbe hommage à l’une des plus grandes machines à rêves que l’homme ait inventée : le cinéma.




Version française : -
Scénario : Satoshi Kon, Seishi Minakami
Distribution : Megumi Hayashibara, Tôru Furuya, Kôichi Yamadera, Toru Emori
Durée : 90 minutes
Origine : Japon

Publiée le : 24 Octobre 2006