OUT OF SIGHT (1998)
Steven Soderbergh
Par Jean-François Vandeuren
Steven Soderbergh est devenu au cours des années 90 et au tournant
du nouveau millénaire un des cinéastes américains
les plus intéressants de son époque grâce à
une signature technique étonnante qu’il aura su adapté
autant pour des projets indépendants que des productions de plus
grande envergure. S’il sorti de l’ombre initialement grâce
à sa Palme d’or à Cannes pour Sex, Lies and
Videotapes, on pourrait dire cependant que c’est Out
of Sight qui lui permit de devenir une des nouvelles coqueluches
d’Hollywood. Basé sur un des toujours populaires romans
d’Elmore Leonard, Out of Sight relate la rencontre improbable
entre la détective Karen Sisco et le braqueur de banque Jack
Foley suite à l’évasion de prison de ce dernier
qui tourna un peu au vinaigre. Alors que Foley planifie un traditionnel
dernier gros coup avant de se retirer, il tentera de reprendre contact
avec Karen pour voir si une relation aurait été possible
s’ils s’étaient rencontrés dans d’autres
circonstances.
Out of Sight se situe quelque part entre la comédie,
le drame, une histoire de crime typiquement américaine et une
touche de romance savamment nuancée que Soderbergh ne cherche
jamais à surexposer. Le point central de cet univers demeure
par contre les personnages principaux qui flirtent constamment avec
leur opposé dans l’un où l’autre des deux
camps. Le scénario superbement adapté du roman de Leonard
par Scott Frank évite de ce fait plusieurs pièges d’usages
collant depuis longtemps à cette formule sans pour autant les
ignorer, préférant plutôt en rire sans que le ton
ne devienne parodique.
Le réalisateur américain s’avère aussi un
créateur d’ambiances tout simplement phénoménal
qui possède du même coup un don inné pour le rythme.
Visuellement, les efforts de Soderbergh s’avèrent toujours
extrêmement maniérés, notamment au niveau de la
photographie qui se démarque par un traitement des couleurs particulièrement
brillant et souvent symbolique. Le cinéaste se montre également
adroit lors des scènes dramatiques et de séduction alors
que dans ce cas-ci, il nous convie à l’un des moments forts
de sa filmographie lors des retrouvailles dans le bar d’un hôtel
de Détroit entre Jack et Karen, divisant cette scène en
plusieurs temps où il n’y a que la conversation entre les
deux individus qui demeure linéaire et sert du même coup
de fil conducteur à la scène. La musique aussi occupe
une place assez importante dans les univers de Soderbergh. Out of
Sight nous propose ainsi un mélange des élans glauques
électro-ambiants de David Holmes et de vieilles chansons rocks
et blues qui forment en définitive une trame sonore qui n’a
rien à envier à celles des films de Tarantino.
Le film marque également la première d’une longue
série de collaboration entre Steven Soderbergh et George Clooney,
rôle qui permit d’ailleurs à ce dernier de se remettre
du médiocre Batman & Robin de l’année
précédente et de lancer sérieusement sa carrière
au cinéma. Il faut dire qu’avec les années, on se
rend bien compte de l’importance du réalisateur dans le
paysage hollywoodien, où il aura contribué plus souvent
qu’à son tour au regain de vie et à la lancé
de nombreux acteurs de premier ordre. Out of Sight ne faisant
pas exception à la règle, Soderbergh parvient encore ici
à aller chercher le meilleur de sa distribution tout en laissant
les choses évoluer dans un cadre plutôt décontracté.
Aux côtés de gros noms des années 2000 comme Don
Cheadle et Ving Rhames, Jennifer Lopez, alors connue pour sa performance
dans Selena et non sa vie amoureuse, se tire également
bien d’affaire sous la tutelle du cinéaste.
S’inscrivant dans la vague de films qui dessinèrent les
traits du nouveau monde des «gangsters» à la sauce
hollywoodienne durant la seconde moitié des années 90
tels Pulp Fiction, Jackie Brown et, dans un registre
différent, Get Shorty, Out of Sight se positionne particulièrement
bien dans ce renouveau grandement inspiré des écrits d’Elmore
Leonard où y règne une touche d’humour noir et d’ironie
assez prononcé dans un récit non linéaire rendu
possible grâce à quelques retours en arrière et
une série de scènes cisaillées qui avaient déjà
marqué la plupart des sorties précédentes du genre.
Il faut dire que Steven Soderbergh affectionne lui aussi ce type de
mise en scène et parvient ici à y imposer sa signature,
et même élaborer ce qui deviendra plus tard une de ses
nombreuses marques de commerce. Même si le présent effort
restera probablement un des moins visités de la filmographie
populaire du cinéaste américain, il en ressort néanmoins
un divertissement aussi «cool» et intelligent qu’un
Ocean’s Eleven qui s’affiche sous un enrobage esthétique
aussi solidement élaboré que celui de l’excellent
The Limey.
Version française :
Loin des regards
Scénario :
Scott Frank, Elmore Leonard (roman)
Distribution :
George Clooney, Jennifer Lopez, Ving Rhames, Don
Cheadle
Durée :
123 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
10 Septembre 2005