OUBLIER CHEYENNE (2005)
Valérie Minetto
Par Jean-François Vandeuren
L’engagement social au cinéma n’a en soi rien de
vraiment nouveau et était déjà fortement présent
au cœur du cinéma russe et allemand dans les années
20. De son côté, le discours qui ressort aujourd'hui des
films cherchant à réveiller les ardeurs d’une population
somnolente fait état d’une urgence d’agir possédant
plusieurs points communs avec celle mise en évidence par ces
deux écoles du passé, lesquels sont présentés
cependant d’une manière moins subtile et plus insistante,
voire parfois manipulatrice. Le but de ces différents efforts
reste tout de même fort louable. On pensera en ce sens à
un cas extrême comme Fight Club, qui demeure une des
pièces les plus percutantes rattachées à ce type
de discours dans le cinéma contemporain. On reconnaîtra
d’ailleurs dans ce Oublier Cheyenne de Valérie
Minetto certaines ressemblances avec les idées véhiculées
par le film de David Fincher. Le présent effort se démarque
cependant par la façon dont il démontre que les meilleurs
intentions ne sont pas forcément totalement réalisables
à court ou à long terme si l’on prend sérieusement
en considération nos préoccupations personnelles et nos
perspectives d’avenir. Ou ne serait-ce pas plutôt ce que
l’on essaierait de nous faire croire? Encore là, deux options
s’offrent à nous. À nous de choisir notre niveau
d’engagement nous dirait un certain Tyler Durden. Des concessions
sont-elles néanmoins possibles?
Dans Oublier Cheyenne, Minetto nous raconte l’histoire
d’une professeure, Sonia, qui perdit de vue son amie de cœur,
Cheyenne, après que celle-ci fut mise au chômage et que
ses dettes l’amenèrent plus tard tout droit à la
rue. Résignée à ne plus servir un système
aussi pourri, Cheyenne partit se réfugier à la campagne
pour tenter de s'intégrer aux valeurs et modes de fonctionnement
plus simples de la vie rurale. S’ennuyant de cette dernière,
Sonia sera alors tiraillée entre sa vision de la vie en société
et celle plus libre en apparence que vit présentement Cheyenne,
sachant toutefois pertinemment que toutes deux devront faire des sacrifices
si elles désirent se retrouver un jour.
Une bonne partie du discours de la cinéaste française
est évidemment amenée à l'écran par le biais
de dialogues qui s’avèrent souvent assez percutants, particulièrement
vu l’argumentation s’y installant, venant mettre en opposition
deux points de vue en les présentant comme étant aussi
valables l’un que l’autre. En ce sens, la particularité
dans ce cas-ci est que le cœur même du film de Valérie
Minetto ne repose pas entièrement sur une propagande cherchant
à nous ouvrir les yeux sur un monde courrant à sa perte
vu l’exploitation qui en est faite par des institutions beaucoup
trop fragiles, ou tout simplement corrompues, sans jamais chercher à
faire la part des choses. Minetto parvient à l’opposée
à mettre en perspective la validité de deux approches
qui avancent un discours similaire et qui gagneraient énormément
à se rejoindre. Un prônant une forme de protestation afin
d'encourager le changement, l’autre s’avouant vaincu d’avance
et cherchant déjà une alternative.
Oublier Cheyenne est un film qui est ainsi beaucoup plus axé
sur les individus et les manières dont ils essaient de faire
face à ce dilemme que sur le problème en soi. La cinéaste
forge en ce sens une approche esthétique assez terre-à-terre
afin que notre attention soit dirigée entièrement vers
ces personnages. Un des points particulièrement brillant du film
à cet effet, et qui permet d’ailleurs à la réalisation
de Minetto d’atteindre des sommets parfois vertigineux, se produit
lorsque cette dernière nous plonge dans un état onirique
où différents personnages qui ne se connaissent pas nécessairement
entrent en contact et créent des liens par le biais de la pensée
d’une autre. Une trouvaille extrêmement bien manœuvrée
par la réalisatrice et qui est d’autant plus toujours amenée
de manière à ce qu'elle ne vienne pas rompre le rythme
de l’effort et qu'elle entre plutôt en parfaite harmonie
avec celui-ci.
Une agréable surprise donc que ce premier effort signé
Valérie Minetto. Cette dernière nous offre en final une
œuvre qui se démarque du lot par sa lucidité et le
minimalisme de sa mise en scène qui conserve malgré tout
une grâce véhiculant parfaitement les problématiques
mises en évidence par la cinéaste, particulièrement
en ce qui a trait aux difficultés sur le plan personnel de passer
à l’action et de se départir de ce que nous avons
beaucoup trop tendance à prendre pour acquis. Un point tout à
l’honneur d'Oublier Cheyenne, mais qui l’empêchera
peut-être en même temps d’atteindre une certaine forme
de postérité. Malgré tout, le film de Minetto conserve
tout le mérite d’avoir su débattre d’un sujet
alimenté bien souvent que par les passions qu’il soulève
en conservant une forme d’objectivité se faisant de plus
en plus rare alors que cela devrait être tout le contraire.
Version française : -
Scénario : Valérie Minetto, Cécile Vargaftig
Distribution : Mila Dekker, Aurélia Petit, Malik Zidi,
Guilaine Londez, Laurence Côté
Durée : 86 minutes
Origine : France
Publiée le : 18 Novembre 2005
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