ONCE (2007)
John Carney
Par Jean-François Vandeuren
Réparateur d’aspirateur le jour, musicien la nuit, un homme
(Glen Hansard) s’installe chaque soir avec sa guitare dans les
rues d’un quartier particulièrement fréquenté
de Dublin pour bercer la marche des nombreux passants de ses airs romantiques
et mélancoliques. Une routine des plus singulières qui
lui permettra un jour de faire la connaissance d’une jeune immigrante
tchèque (Markéta Irglová) chez qui il découvrira
un talent inné pour la musique. Au fil de leurs rencontres, les
deux individus constateront que leur passion pour les mélodies
tristes et langoureuses n’est pas la seule chose qu’ils
ont en commun alors que tous deux raconteront tour à tour les
grandes lignes d’une histoire d’amour passée sur
laquelle ils n’ont toujours pas réussi à tourner
la page. Celle du guitariste parlera de trahison alors que celle de
la jeune mère monoparentale exprimera plutôt la déception
qu’éprouva cette dernière lorsque son mari refusa
de quitter son pays natal pour s’installer en Irlande avec elle
et sa fille. Mais alors que tout semblait vouloir les unir, l’homme
décidera sur un coup de tête de repartir pour l’Angleterre
pour y reconquérir le coeur de sa belle. Mais avant d’entreprendre
ce long et périlleux voyage, il planifiera un court séjour
en studio afin de mettre sur ruban quelques unes de ses créations
en compagnie de sa nouvelle amie. Une initiative qui aura évidemment
pour effet de les rapprocher encore davantage.
Le minimalisme était visiblement de mise lors de la réalisation
de ce projet tout ce qu’il y a de plus modeste alors que le cinéaste
irlandais John Carney et son équipe ne bénéficiaient
que de quelques jours et d’un budget d’à peine 160
000 dollars pour arriver à leurs fins. Si le genre nous a certes
offert récits plus complexes et ambitieux par le passé,
Once dégage néanmoins une chaleur et une authenticité
que nous retrouvons de plus en plus rarement dans ce type d’essais.
L’ancien acolyte de Glen Hansard au sein de la formation The Frames
illustre ainsi avec candeur et humanisme la relation aussi brève
qu’ambiguë qu’entretiendront ces deux individus que
tout unit et sépare à la fois. Si Once n’explore
pas nécessairement de nouvelles avenues sur le plan scénaristique,
le film de John Carney tire malgré tout son épingle du
jeu de par la façon particulièrement sentie dont ce dernier
contourne bon nombre de conventions du genre sans jamais les renier
complètement. Le cinéaste ne tente d’ailleurs en
aucun cas d’enrober sa prémisse d’enjeux dramatiques
déchirants ou d’une mise en scène moindrement communicative,
concentrant plutôt ses énergies sur la création
d’un univers filmique à la fois réaliste et voluptueux
tout en laissant ses protagonistes évoluer au rythme de leurs
chansons et de leurs sentiments. Le tout sans que le poids de l’effort
ne se retrouve entièrement sur les frêles épaules
des deux acteurs peu expérimentés qui interprètent
malgré tout de façon naturelle et extraordinairement sympathique
leur personnage respectif.
Il est évidemment facile de s’identifier à une oeuvre
d'une sincérité et d'une délicatesse aussi désarmante,
ce qui n’est pas toujours le cas dans un genre dont la forme est
plus souvent synonyme d’excès que de modestie. Ainsi, plutôt
que de faire chanter ses protagonistes aux moments les moins opportuns,
le cinéaste irlandais opta pour une mise en scène un peu
plus terre-à-terre et positionna les divers numéros musicaux
de son film dans un contexte beaucoup plus crédible tout en leur
confiant la dimension expressive qu’il ne pouvait insuffler à
ses images. Il faut dire que c’est précisément sur
la façon dont les compositions d’Hansard et Irglová
illustrent les nombreux non-dits des écrits de Carney que repose
l’essence même de Once. Ainsi, si les paroles et
les actes des deux principaux personnages nous laisseront continuellement
croire au début d’une idylle amoureuse digne des «
plus grands » scénarios hollywoodiens, leur musique servira
plutôt à panser de vieilles blessures intérieures
qui tardent à cicatriser. Qu’ils soient joués en
studio, au coin d’une rue ou à l’intérieur
d’un autobus, tous ces morceaux traduisent avec fougue la dimension
plus personnelle les caractérisant sans jamais ne devenir que
de vulgaires complaintes. Et si le travail de Carney ne semble jamais
être celui d’un grand architecte visuel, son approche demeure
néanmoins assez souple et précise pour conférer
un côté plus viscéral à tous ces moments,
ramenant du coup la musique à sa forme la plus primaire sans
que toute la retenue dont fait preuve ce dernier derrière la
caméra ne la dépouille de sa force ou de son importance.
Le cinéaste irlandais sera ainsi parvenu à séduire
son public en obéissant davantage aux lois impitoyables de la
réalité qu’à celles un peu plus permissives
de la fiction, lui proposant au final une mise en situation dans laquelle
il pourrait facilement se reconnaître plutôt qu’une
à laquelle il ne pourrait que rêver. Tirant merveilleusement
profit de la chimie exceptionnelle s’opérant entre ses
deux principaux acteurs et de l’immense beauté de leurs
mélodies, Carney signe une oeuvre touchante et ludique dont certains
rouages ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux de l’exceptionnel
In the Mood For Love de Wong Kar Wai, l’ambition technique
en moins. Once est donc précisément le type d’effort
battant la mesure d’une manière somme toute imparfaite,
mais néanmoins prenante, qu’un genre aussi excessif que
le film musical a besoin de temps à autre pour ne pas trop s’éloigner
de la terre ferme. Carney a d’autant plus le mérite dans
ce cas-ci de n'avoir jamais dérogé de cette ligne directrice
particulièrement fragile pour terminer le tout sur une note absolument
foudroyante. Une fin heureuse, mais baignée de mélancolie,
lors de laquelle le spectateur devra revoir entièrement sa position
face aux deux protagonistes et leurs désirs respectifs. Évidemment,
un tel récit mis en scène de cette façon ne pouvait
(et ne devait) se terminer autrement. Si Once ne déplace
pas énormément d’air d’un point de vue purement
esthétique, sa finesse et sa grandeur d’âme, elles,
nous vont droit au coeur.
Version française : -
Scénario :
John Carney
Distribution :
Glen Hansard, Markéta Irglová
Durée :
85 minutes
Origine :
Irlande
Publiée le :
13 Février 2008