OLDBOY (2003)
Park Chan-Wook
Par Jean-François Vandeuren
Que feriez-vous si un beau jour, comme ça, sans raison apparente,
vous étiez subitement enlevé en pleine rue et aussitôt
enfermé dans une seule et même pièce pendant quinze
ans? Vous serez évidemment logé, nourri, soigné
au besoin. Votre télévision deviendra votre fenêtre
sur le reste du monde si elle ne l’était pas déjà
auparavant. Quinze ans donc à vous demander qui? Pourquoi? Mais
encore plus important: qu’allez-vous faire une fois relâché?
Serez-vous plus libres qu’entre ces quatre murs? Voici la prémisse
de Oldboy du réalisateur sud-coréen Park Chan-Wook,
confinant son personnage principal Oh Dae-Su (Choi Min-sik) dans une
cellule prenant les allures d’une chambre d’hôtel
à laquelle il manque vraisemblablement quelques étoiles.
Au bout d’une quinzaine d’années au cours desquelles
il tenta de mettre fin à ses jours plus souvent qu’il réussit
à ne pas perdre la raison, mais aussi à s’entrainer
en l’espoir d’un jour pouvoir prendre sa revanche au cas
où il s’en sortirait vivant, le voilà redevenu un
homme libre. Mais pas encore. Son mystérieux agresseur retrouvé,
celui-ci le prend une fois de plus au jeu en le mettant au défi
de découvrir les raisons de son emprisonnement. Il lui donne
cinq jours.
C’est bien connu: la vengeance est un plat qui se mange froid,
dicton célèbre utilisé depuis des lunes au cinéma.
Comme plusieurs de ces films, Oldboy s’interroge sur
le sens de cette phrase du point de vue d’un personnage pour qui
la soif d’auto-justice est devenue l’unique raison d’être,
tout en remettant en question sa valadité une fois cette soif
étanchée. Par contre, même si elle prend une place
tout de même omniprésente dans cette intrigue, le film
de Park Chan-Wook ne se base pas entièrement sur cette seule
interrogation. Se positionnant plutôt loin de la manière
Tarantinienne, sans rien vouloir enlever au talent incontestable de
ce dernier, Oldboy pousse tout de même l’audace
un peu plus loin en dévoilant certaines notions psychologiques
et même philosophiques beaucoup plus sournoises dans une histoire
où il ne s’agit pas de trouver des réponses, mais
bien de (se) poser les bonnes questions. Le réalisateur nous
entraine donc dans un tourbillon confus assez grinçant, plaçant
adroitement le spectateur au même niveau que son principal intéressé
pour rendre son effort imprévisible, ce qui est un énorme
plus dans le genre.
Et comme il fallait s’y attendre, Oldboy se caractérise
également par sa violence visuelle, mais qui laisse tout de même
place à des scènes d’action saisissantes, dont une
déjà célèbre habilement composée
d’un seul plan séquence suivant un long couloir de gauche
à droite. Mais Park Chan-Wook n’a pas fait non plus de
son film une orgie de sang, de scènes de mutilations et de tortures,
comme c’était le cas dans Ichi the Killer de Takashi
Miike par exemple. Là où Miike ne misait somme toute que
sur l’exploitation graphique de sa dégueulasserie ambulante
pour choquer, Park Chan-Wook a su à l’opposé jouer
d’un peu plus de finesse, faisant référence à
cette violence sans nécessairement l’exposer, préférant
en bout de ligne miser sur la suggestion sans pour autant écarter
l'utilisation d'hémoglobine. Une retenue exemplaire qui est tout
à son honneur. Les nombreuses références de style
effectuées par le cinéaste sud-coréen rendent également
son effort remarquable visuellement, notamment au niveau du montage
qui mélange d’une part astucieusement le passé au
présent et vice versa, tout en y étant pour beaucoup en
ce qui a trait au rythme du film incroyablement soutenu d’un bout
à l’autre, et où l’effort musical à
la fois électronique et classique entre aussi en ligne de compte,
le tout rappelant entre autre l’efficacité hallucinante
du Run Lola Run de Tom Tykwer.
Ce nouvel effort de Park Chan-Wook se donne donc souvent des airs de
tragédie et de film noir tout en épousant des atmosphères
typiquement animées. Le tout est d’ailleurs dirigé
sous une optique si imposante et contrôlée que ces trois
approches finissent par ne faire qu’une seule. L’acteur
Choi Min-Sik termine à lui seul cet amalgame visuel par son interprétation
délirante d’un personnage complètement déchiré
psychologiquement (et physiquement), mais demeurant néanmoins
inébranlable face à son désir de vengeance. Oldboy
se démarque donc dans la manière peu commune qu’il
aborde ce sujet, cachant même une certaine morale sous un coup
de théâtre final aussi surprenant que malsain. L’opus
de Park Chan-Wook a donc le mérite de ne pas être prétexte
qu’à une série d’éclaboussures de sang
dans un genre souvent saturé par une violence exagérée,
tentant de compenser dans le pire des cas pour un scénario déficient,
et d’avoir réellement chercher à culminer sur une
mise en scène aussi brutale que fragile.
Version française :
15 ans volés
Scénario :
Hwang Jo-Yun, Lim Chun-Hyeong
Distribution :
Choi Min-Sik, Yu Ji-Tae, Kang Hye-Jeong, Ji Dae-Han
Durée :
120 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
29 Avril 2005