OCEAN'S THIRTEEN (2007)
Steven Soderbergh
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Rapidement, presque par réflexe, certains rangeront Ocean's
Thirteen dans la catégorie des films qui servent à
financer les essais plus aventureux du réalisateur américain
Steven Soderbergh. Ayant trouvé une recette gagnante, l'auteur
de Sex, Lies and Videotape la répliquerait ainsi de
manière intermittente question de soigner ses rapports épineux
avec les grands studios - qui doivent difficilement saisir la relation
erratique de celui-ci avec le succès. Ce jugement hâtif
n'est pas en soi complètement injuste, car la série des
Ocean's n'est que pur divertissement dans sa forme la plus légère
et inconséquente et n'aspire qu'à ceci. Le cinéaste
se la joue cool trame sonore funky à l'appui, multipliant les
pirouettes formelles dans le simple but d'épater la galerie.
La substance d'Ocean's Thirteen est le style, son âme
résidant dans la paillette brillante qu'il arbore fièrement,
dans les regards assurés que décoche dans toutes les directions
possibles sa distribution étincelante de vedettes en vacances
qui se savent entre de bonnes mains. L'expérience tient finalement
de l'arnaque, puisque Soderbergh en met plein la vue afin de mieux masquer
la minceur de son intrigue et l'insignifiance de ses préoccupations;
mais l'arnaque est luxueuse, une duperie de première classe dont
l'exubérance monte rapidement à la tête du spectateur.
Dans une certaine mesure, cette vacuité calculée célèbre
à l'instar de The Good German l'esprit et le cinéma
d'une autre époque: « You're analog players in a digital
world », réplique-t-on aux personnages de Pitt et
de Clooney lorsqu'ils parlent de déjouer un système de
surveillance informatique à la fine pointe de la technologie.
Certes, la nostalgie de Soderbergh n'est cette fois motivée par
aucun recul critique; seul subsiste le plaisir passager de revivre une
époque passée, de renouer avec le fameux style occulté
de l'équation par le cinéma populaire moderne. Le scénario
formule en quelques minutes une excuse précipitée pour
réunir à nouveau la bande de Danny Ocean, évoquant
cette fois les bonnes vieilles valeurs que sont l'amitié, l'honneur
et la loyauté pour justifier une autre de ces opérations
rocambolesques pour lesquelles elle est réputée. Cette
fois, c'est Al Pacino en riche crapule au goût vulgaire qui sera
victime du grand coup orchestré par Clooney et compagnie; il
a bafoué la mémoire du roi de Vegas, Frank Sinatra, et
berné un vieil ami du clan. Insulte au style, à la tradition
et à la famille: le sort en est jeté dans cet univers
de pur cinéma où ces principes ont été élevés
au rang d'idéologie anachronique. Il n'y a aucun réel
enjeu dramatique à dégager d'Ocean's Thirteen,
tout comme c'était le cas déjà dans le faible volet
médian de la trilogie. Mais, cette fois, Soderbergh arrive avec
une virtuosité certaine à créer à tout le
moins l'impression d'une progression à partir d'un scénario
qui tourne plus souvent qu'autrement à vide.
Heureusement, les revirements laborieux d'Ocean's Twelve ont
été évacués au profit d'une écriture
certes nonchalante mais néanmoins parfaitement ludique qui saute
d'un gag à l'autre, d'une situation à l'autre, avec une
aisance certaine. Le choix de resserrer la trame narrative de cette
suite autour d'un seul grand coup rapporte et, bien que les surprises
ne soient pas vraiment au rendez-vous comme dans Ocean's Eleven,
lui confère un air de suspense qui manquait cruellement au film
précédent. L'atmosphère détendue et la chimie
entre les acteurs sont toujours palpables. Mais cette fois-ci, Soderbergh
s'est souvenu qu'il dirigeait non pas un voyage cinq étoiles
toutes dépenses payées pour ses acteurs mais bien un film,
avec ce que la chose implique de tensions, de rythme et de structure.
Retour au bercail, donc, pour ce Rat Pack post-moderne auquel de toute
manière la décadence kitsch de Las Vegas convient mieux
que les charmes du Vieux Continent. Dans ce royaume de la démesure,
ces personnages reprennent leur sens où, plutôt, leur absence
de sens. Car Ocean's Thirteen, comme la ville dont il incarne
avec un certain brio l'aspect mythologique, est une absurdité
consommée qui se définit par son excès.
Voilà qui nous ramène à cette notion dangereuse
du « style » , que le film dégage avec une arrogante
suffisance - et ce dès son amorce, par l'entremise d'un génial
générique servi à la sauce sixties. Le flegmatique
duo Pitt/Clooney joue dans un style relax qui sied bien à ce
thriller qui n'en est pas un, où le pari s'avère gagné
d'avance et où les obstacles sont étrangement absents
du parcours. À la limite, Ocean's Thirteen semble admettre
qu'il n'y a plus de défi pour les héros du grand écran;
et, alors que la plupart des films cherchent à masquer ce fait
en multipliant les culbutes, celui-ci fait de cette aisance sa meilleure
blague et l'essence même de son style - décontracté,
confiant, vaguement blasé. Ces personnages connaissent leur univers
comme le fond de leur poche; et Clooney n'attend plus que Pitt finisse
sa phrase pour lui décocher une riposte. Les cyniques accuseront
Soderbergh de se la couler douce, de ne pas pousser assez loin le petit
jeu entamé avec Ocean's Eleven. Mais, en plein coeur
d'un été où la plupart des films grand public américains
tiennent de la pure création virtuelle, Soderbergh a trouvé
le moyen de réunir les foules autour d'une étrange petite
farce post-moderne qui n'est pas dépourvue de charme. À
l'instar de ses personnages, il semble à la limite venir d'un
autre monde, d'une autre époque; il n'est pas nostalgique, simplement
lui-même.
Version française :
Danny Ocean 13
Scénario :
Brian Koppelman, David Levien
Distribution :
George Clooney, Brad Pitt, Matt Damon, Al Pacino
Durée :
122 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
19 Juin 2007