A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

OCEAN'S THIRTEEN (2007)
Steven Soderbergh

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Rapidement, presque par réflexe, certains rangeront Ocean's Thirteen dans la catégorie des films qui servent à financer les essais plus aventureux du réalisateur américain Steven Soderbergh. Ayant trouvé une recette gagnante, l'auteur de Sex, Lies and Videotape la répliquerait ainsi de manière intermittente question de soigner ses rapports épineux avec les grands studios - qui doivent difficilement saisir la relation erratique de celui-ci avec le succès. Ce jugement hâtif n'est pas en soi complètement injuste, car la série des Ocean's n'est que pur divertissement dans sa forme la plus légère et inconséquente et n'aspire qu'à ceci. Le cinéaste se la joue cool trame sonore funky à l'appui, multipliant les pirouettes formelles dans le simple but d'épater la galerie. La substance d'Ocean's Thirteen est le style, son âme résidant dans la paillette brillante qu'il arbore fièrement, dans les regards assurés que décoche dans toutes les directions possibles sa distribution étincelante de vedettes en vacances qui se savent entre de bonnes mains. L'expérience tient finalement de l'arnaque, puisque Soderbergh en met plein la vue afin de mieux masquer la minceur de son intrigue et l'insignifiance de ses préoccupations; mais l'arnaque est luxueuse, une duperie de première classe dont l'exubérance monte rapidement à la tête du spectateur. Dans une certaine mesure, cette vacuité calculée célèbre à l'instar de The Good German l'esprit et le cinéma d'une autre époque: « You're analog players in a digital world », réplique-t-on aux personnages de Pitt et de Clooney lorsqu'ils parlent de déjouer un système de surveillance informatique à la fine pointe de la technologie.

Certes, la nostalgie de Soderbergh n'est cette fois motivée par aucun recul critique; seul subsiste le plaisir passager de revivre une époque passée, de renouer avec le fameux style occulté de l'équation par le cinéma populaire moderne. Le scénario formule en quelques minutes une excuse précipitée pour réunir à nouveau la bande de Danny Ocean, évoquant cette fois les bonnes vieilles valeurs que sont l'amitié, l'honneur et la loyauté pour justifier une autre de ces opérations rocambolesques pour lesquelles elle est réputée. Cette fois, c'est Al Pacino en riche crapule au goût vulgaire qui sera victime du grand coup orchestré par Clooney et compagnie; il a bafoué la mémoire du roi de Vegas, Frank Sinatra, et berné un vieil ami du clan. Insulte au style, à la tradition et à la famille: le sort en est jeté dans cet univers de pur cinéma où ces principes ont été élevés au rang d'idéologie anachronique. Il n'y a aucun réel enjeu dramatique à dégager d'Ocean's Thirteen, tout comme c'était le cas déjà dans le faible volet médian de la trilogie. Mais, cette fois, Soderbergh arrive avec une virtuosité certaine à créer à tout le moins l'impression d'une progression à partir d'un scénario qui tourne plus souvent qu'autrement à vide.

Heureusement, les revirements laborieux d'Ocean's Twelve ont été évacués au profit d'une écriture certes nonchalante mais néanmoins parfaitement ludique qui saute d'un gag à l'autre, d'une situation à l'autre, avec une aisance certaine. Le choix de resserrer la trame narrative de cette suite autour d'un seul grand coup rapporte et, bien que les surprises ne soient pas vraiment au rendez-vous comme dans Ocean's Eleven, lui confère un air de suspense qui manquait cruellement au film précédent. L'atmosphère détendue et la chimie entre les acteurs sont toujours palpables. Mais cette fois-ci, Soderbergh s'est souvenu qu'il dirigeait non pas un voyage cinq étoiles toutes dépenses payées pour ses acteurs mais bien un film, avec ce que la chose implique de tensions, de rythme et de structure. Retour au bercail, donc, pour ce Rat Pack post-moderne auquel de toute manière la décadence kitsch de Las Vegas convient mieux que les charmes du Vieux Continent. Dans ce royaume de la démesure, ces personnages reprennent leur sens où, plutôt, leur absence de sens. Car Ocean's Thirteen, comme la ville dont il incarne avec un certain brio l'aspect mythologique, est une absurdité consommée qui se définit par son excès.

Voilà qui nous ramène à cette notion dangereuse du « style » , que le film dégage avec une arrogante suffisance - et ce dès son amorce, par l'entremise d'un génial générique servi à la sauce sixties. Le flegmatique duo Pitt/Clooney joue dans un style relax qui sied bien à ce thriller qui n'en est pas un, où le pari s'avère gagné d'avance et où les obstacles sont étrangement absents du parcours. À la limite, Ocean's Thirteen semble admettre qu'il n'y a plus de défi pour les héros du grand écran; et, alors que la plupart des films cherchent à masquer ce fait en multipliant les culbutes, celui-ci fait de cette aisance sa meilleure blague et l'essence même de son style - décontracté, confiant, vaguement blasé. Ces personnages connaissent leur univers comme le fond de leur poche; et Clooney n'attend plus que Pitt finisse sa phrase pour lui décocher une riposte. Les cyniques accuseront Soderbergh de se la couler douce, de ne pas pousser assez loin le petit jeu entamé avec Ocean's Eleven. Mais, en plein coeur d'un été où la plupart des films grand public américains tiennent de la pure création virtuelle, Soderbergh a trouvé le moyen de réunir les foules autour d'une étrange petite farce post-moderne qui n'est pas dépourvue de charme. À l'instar de ses personnages, il semble à la limite venir d'un autre monde, d'une autre époque; il n'est pas nostalgique, simplement lui-même.




Version française : Danny Ocean 13
Scénario : Brian Koppelman, David Levien
Distribution : George Clooney, Brad Pitt, Matt Damon, Al Pacino
Durée : 122 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 19 Juin 2007