OBSERVE AND REPORT (2009)
Jody Hill
Par Laurence H. Collin
C’est en 2006 que le réalisateur américain Jody
Hill a pu faire ses débuts avec The Foot Fist Way. Insolite
drôlerie traitant de l’accomplissement de soi et ayant comme
point de départ un loser typique d’un certain âge
idolâtrant un maître du kung-fu, le projet lui a néanmoins
permis de faire ses preuves. Presque trois ans plus tard, le voilà
aux commandes d’une comédie policière au budget
confortable qu’il a lui-même écrit, mettant en vedette
nul autre que Seth Rogen, comédien accumulant rapidement les
rôles de gentils bons à rien. Si le profil des talents
impliqués dans l’entreprise laisse présager une
rigolade désinvolte et bon enfant, force est de constater que
ce Observe and Report aussi grinçant que décalé
risque de laisser un arrière-goût tout à fait inattendu
au public cherchant simplement une variante grivoise de Paul Blart
: Mall Cop. C’est pourtant cette quasi-totale excision de
bons sentiments qui donne beaucoup de teneur à cette farce noire
s’inspirant davantage de Taxi Driver que d’un Police
Academy.
Dès le générique d’ouverture capturant avec
souplesse une journée banale dans un centre commercial, Observe
and Report nous plonge dans la réalité de Ronnie
Barnhardt (Seth Rogen), agent de sécurité vivant encore
avec sa mère ivrogne et amorphe (Celia Weston). Le centre d’achat
- « son » centre d’achat - est rapidement établi
comme un domaine à part entière, l’on dirait presque
un microcosme. Peuplant cette contrée grouillante de vie (et
d’ennui) sont Dennis (Michael Pena), collègue latino de
Ronnie, Saddamn (Aziz Ansari), vendeur arabe toujours regardé
de travers par les autres, Nell (Collette Wolf) sympathique et discrète
employée du café, et Brandi (Anna Faris), insignifiante
et pulpeuse blondasse au rayon des cosmétiques qui s’avère
être le fantasme absolu de Ronnie. C’est lors d'une journée
bien comme les autres que l’existence de ces êtres sera
chamboulée par la venue surprise d’un exhibitionniste perverti
qui, après un marathon prolongé de grossières indécences,
prendra la poudre d’escampette. Ronnie verra donc dans cet évènement
sordide une occasion hors pair de prouver son autorité et sa
virilité en trouvant le coupable - jusqu’à ce que
l’arrivée du Détective Harrison (Ray Liotta), policier
désirant prendre l'affaire en main, lui mette des bâtons
dans les roues.
Bien que l’absurde des premières situations et les réactions
loufoques des personnages pointent d’abord vers la plaisanterie,
les ruptures de ton donnent brusquement une cadence distincte à
l’ensemble. Il ne prendra pas plus d’une dizaine de minutes
pour que le malaise trône (fort intentionnellement), ne laissant
que peu de place au rire gras. En effet, l’incompétence
et le manque de bon goût de Ronnie ne sont pas grand-chose à
côté de son ignorance criante et de son caractère
raciste : exit l’aimable perdant précédemment interprété
dans Knocked Up ou Zack and Miri Make a Porno. Observant
ses lieux avec de redoutables impulsions de punition qu’il peine
déjà à cacher, Ronnie Barnhardt lutte contre son
anonymat en fétichisant la violence, n’attendant que le
« bon moment » pour agir. Les éclats soudains de
brutalité dont il fera preuve sont ainsi au diapason des coupures
nettes et déstabilisantes que la réalisation de Hill parvient
à imposer. Si l’alliage de rires jaunes et d’observations
sur l’abus de pouvoir ou le vigilantisme n’est pas aussi
maîtrisé que l’on aurait pu le souhaiter, plusieurs
épisodes soient hilarants ou dérangeants sauvent amplement
la mise. On pourra donc retrouver une audience divisée en deux
devant cet Observe and Report dont la qualification d’«
aigre-doux » serait bien trop simpliste : ceux qui adhèrent
au déploiement (en mode comique) d’un comportement inexcusable,
et ceux qui le rejettent âprement.
Le rôle au centre de cet exercice cinglant mais non dénué
de moments tout à fait humains n’est pas chose simple :
les aspects pathétiques et dangereux de Ronnie doivent être
présentés en à peu près égale mesure,
et c’est avec succès que Rogen y parvient. Si ce rôle
n’est pas sans rappeler la bonhomie de ses prédécesseurs,
c’est peut-être bien parce qu’il s’agit d’une
version assez tordue. Le comédien interprète donc un personnage
ambigu précisément comme celui-ci est écrit, offrant
ici sa performance la plus habitée à ce jour. Il est secondé
par un Ray Liotta efficace et par moments explosif, ainsi que par une
Anna Faris livrant tout son talent pour personnifier les abruties en
suggérant juste assez d’insécurité. Si son
personnage n’est seulement, en bout de ligne, qu’un accessoire
à la dégradation psychologique de Ronnie (tout comme celui
de Betsy l’était pour le Travis Barker de Taxi Driver),
l’aplomb avec lequel la comédienne l’incarne est
suffisant pour en faire une autre figure complexe et déplorable.
On sort donc de Observe and Report troublé, presque
embrouillé. Jody Hill dresse un portrait impitoyable d’une
Amérique fissurée par le règne de la justice et
de la «sécurité», en commençant par
ces pions portant le badge comme une permission absolue en actes et
en paroles. Si la subtilité n’est pas toujours au rendez-vous
et que certains angles de la trame narrative auraient mérité
plus d’épaisseur (notamment la relation que Ronnie entretien
avec sa mère), le résultat est une anti-comédie
désopilante et exempte de morale bon marché pour quiconque
est capable de supporter la présence de gestes qui vont bien
au-delà du « rebutant »…
Version française :
L'Agent provocateur
Scénario :
Jody Hill
Distribution :
Seth Rogen, Anna Faris, Ray Liotta, Dan Bakkedahl
Durée :
86 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
27 Avril 2009