NUIT NOIRE (2005)
Olivier Smolders
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Croisement insolite entre l'étouffante claustrophobie kafkaïenne
de Cronenberg et l'onirisme sombre de Lynch, Nuit noire du
Belge Olivier Smolders se distingue au sein de l'imprévisible
volet Temps Zéro du Festival du nouveau cinéma de Montréal,
consacré au «cinéma en mutation» donc expérimental,
comme une oeuvre d'une maitrise formelle exceptionnelle. Cinéma
de sensations, d'abord, ce festin visuel troublé auquel nous
convie Smolders envoute d'abord les sens par sa surface opaque et intrigante
à souhait avant de nous plonger dans un casse-tête symboliste
déstabilisant et obsédant. Auquel, il faut bien l'admettre,
on ne sait trop s'il manque quelques pièces même après
la projection. Mais tout comme certains films de Lynch dont la substance
est, de l'aveu même du réalisateur, insaisissable, Nuit
noire captive parce qu'il joue pernicieusement avec notre esprit
alors même que le rêve inquiétant se transforme dans
notre esprit comme à l'écran en un fascinant cauchemar
métaphysique ouvertement inspiré par L'heure du loup
de Bergman.
De toute évidence, Nuit noire est ce genre d'oeuvre
qui passionne les sémiologues amateurs mais laisse de glace les
cinéphiles qui cherchent un cinéma qui répond plutôt
qu'un cinéma qui pose. Alors que les premiers s'extasieront devant
la richesse de ce premier long-métrage de Smolders, petit prodigue
du circuit du court-métrage passant ici au stade supérieur,
les seconds iront au bout d'une heure fabriquer leurs propres rêves
dans les bras de Morphée. On peut déjà imaginer
ce conflit animé entre les deux camps: d'un bord, ce contingent
de cinéphiles qui défendra corps et âme le film
de Smolders pour son atmosphère dense et son imagerie fouillé,
de l'autre, ceux qui collerons au réalisateur l'étiquette
d'obscurantiste charlatan prétentieux post-peu-importe.
Ce qui serait franchement injuste. Le travail d'orfèvre du directeur
photo Louis-Philippe Capelle qui exploite le plein potentiel du numérique
haute définition, un rythme engourdissant sa proie pour mieux
la happer, un univers sonore imposant à la manière Lynch,
une direction artistique détaillée et imaginative: tous
ces éléments s'additionnent pour créer une expérience
cinématographique unique franchement envoutante. Mêlant
les obsessions entomologiques de son personnage principal à un
amusant parti pris pour les références à l'univers
bien connu de la bande dessinée belge, Nuit noire enchaine
les visions fantastiques ou glauques et organiques à des situations
plus absurdes pour créer un climat perpétuel d'incertitude
voire d'inquiétude inconfortable. Sans jamais sombrer dans le
piège des conventions, Smolders arrive subtilement à créer
une tension malsaine qui éclate soudainement avec la détérioration
de l'état d'esprit du personnage principal.
Mais au fait, ça raconte quoi ce truc? L'histoire de l'employé
d'un musée d'histoire naturelle qui retrouve en revenant du boulot
une femme noire enceinte dans son lit. Obsédé par son
passé, psychanalysé par un thérapeute biscornu
dont les méthodes auraient été des plus appropriées
dans un film de Jeunet et Caro, cet homme vivra par l'entremise de cette
femme enceinte mourante une expérience de maternité bizarre
qui aboutira à sa renaissance sexuelle. En ajoutant à
cela une multitude de références à la colonisation
du Congo, le film de Smolders devient un potpourri d'idées et
de sensations. Une rencontre entre la chaire et l'intellect que le cinéaste
désire que l'on interprète de manière personnelle,
en comblant à notre guise ces espaces qu'il a laissé volontairement
flous dans sa narration flottante et élastique.
Bref, Nuit noire est le genre de mosaïque d'idées
que l'on assemble dans toutes les configurations possibles ou que l'on
abandonne par manque de patience. Un casse-tête en effet assez
ardu, dont les divers morceaux sont cependant si luxuriants que l'on
peut se fasciner sur leur beauté individuelle un bon bout de
temps, sans même chercher à compléter le portrait
qu'il suggère. Ce premier long-métrage d'Olivier Smolders
compte parmi les meilleurs essais cinématographiques surréalistes
des dernières années. Que les principaux intéressés
se le disent.
Version française : -
Scénario :
Olivier Smolders
Distribution :
Fabrice Rodriguez, Yves-Marina Gnahoua, Marie Lecomte
Durée :
90 minutes
Origine :
Belgique
Publiée le :
22 Octobre 2005