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NOTRE MUSIQUE (2004)
Jean-Luc Godard

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Il y a un parallèle à faire entre l'explosion Punk des années 70 et la Nouvelle vague française des années 60 qui, bien qu'il ne soit pas exact sur toute la ligne, n'en demeure pas moins logique. Les deux mouvements partageaient en effet cette même énergie et ce même désir de faire le mieux possible avec les moyens du bord, une passion réelle qui les distinguaient des courants fatigués qu'ils tentaient justement de faire tomber. Or, que fait un punk devenu vieux, un artiste dont l'oeuvre initiale vibrait de par son énergie juvénile et se nourrissait de l'antagonisme qu'il cultivait face aux institutions en place mais, finalement devenu avec le temps une institution en soi. Jean-Luc Godard, lui, semble avoir accepté l'âge avec maturité. Son cinéma semble avoir vieilli avec lui. Avec Notre musique, le réalisateur français offre une réflexion sombre et posée sur la guerre mais aussi sur toutes les questions philosophiques qui l'entourent. Et s'il n'accouche pas de son meilleur film à vie, ce nouvel opus mérite tout de même d'être vu.

Construit en trois actes, Notre musique débute en enfer, un montage d'images de guerre diverses où violence fictive et violence réelle se fondent en un même ballet d'horreur. Godard y superpose des images créées pour divertir à d'autres qui témoignent d'atrocités humaines passées. Cette boucherie est-elle la musique de l'homme, l'hymne qu'entonne notre espèce depuis son apparition sur cette planète? Titre énigmatique pouvant être interprété de multiples façons, Notre musique n'en demeure pas moins révélateur de l'universalité du propos de Godard. C'est à l'humanité entière qu'il adresse son film, malgré quelques segments légèrement obscurs que l'on pourrait à la limite accuser de frôler l'hermétisme. De toute façon, le film déborde tant d'idées intéressantes et de fragments de conversations fascinants qu'il est normal d'accrocher à certains pour en laisser d'autres s'échapper.

À ce niveau, le deuxième segment du film, le purgatoire, rappelle un peu les Slackers et Waking Life de Richard Linklater où divers exposés s'enchainaient alors qu'augmentait sans cesse le nombre de protagonistes croisés par le spectateur. En effet, Godard y suit le parcours d'une foule d'individus, se concentrant surtout sur celui d'une jeune journaliste idéaliste de Tel-Aviv, désillusionné lorsqu'elle tente d'organiser une rencontre sur les conséquences purement humaines des conflits armés, se butant aux réticences d'un vieil ambassadeur. Si Godard lui-même est devenu vieux, il semble avoir conserver une haute estime de la jeunesse. Son film conserve tout de même un certain équilibre entre l'espoir et le défaitisme. Il va même jusqu'à se mettre en scène dans l'une des meilleures scènes du film, une conférence passionnante tournée avec un flair visuel remarquable.

Cependant, le moment le plus marquant de film en demeure la conclusion, ce «paradis» dont les forêts et les cours d'eau sont gardées par des Marines américains qui veillent jusque dans l'autre monde sur le destin de la race humaine. Cette séquence surréaliste réussit à faire passer un commentaire d'une lourdeur infinie avec un certain humour, à rendre digestible la triste réalité actuelle. C'est ce désir d'offrir un point de vue sur l'actualité qui est la raison d'être de Notre musique. Peu importe que Godard y joue de façon remarquable avec le son et avec nos sens en général. À la conclusion de cette conférence qu'il donne dans le deuxième tiers du film, quelqu'un lui demande s'il croit que les caméras numériques sauveront le cinéma. Le silence qui suit en dit long. Peu importe la forme tant que le contenu y est.

Godard profite donc de ce nouveau film pour condamner la violence sous toutes ses formes. «Tuer un homme pour défendre une idée ce n'est pas défendre une idée c'est tuer un homme». Il arrive à traiter du conflit israélo-palestinien sans jamais être racoleur et à placer un commentaire fascinant sur l'ambigüité de la relation qu'entretient la Palestine avec Israël: «Nous vous devons la renommée et la défaite». Mais plus que tout, Notre musique traite d'un point tournant dans l'histoire de l'humanité, une époque d'une violence et d'une folie sidérante qui marquera l'histoire du monde, la nôtre.

En soi, le fait même que Jean-Luc Godard ait senti l'intense besoin de faire ce film en dit long sur la gravité de la situation. Que le projet en résultant soit tout de même une réussite est une belle surprise qui ne changera probablement pas grand chose à l'état du monde. Mais avec un peu de chance, elle éveillera peut-être un individu ou deux de plus et qui sait, en poussera peut-être deux ou trois autres à agir. En fait, lorsqu'on y pense bien, le vieux punk Godard n'a pas perdu de son mordant avec l'âge. Plutôt que de se réconforter en se remémorant avec nostalgie ses réussites passées, il aura eu le courage avec Notre musique de regarder le monde en pleine face tel qu'il est aujourd'hui et de pousser un cri de plus.




Version française : -
Scénario : Jean-Luc Godard
Distribution : Sarah Adler, Nade Dieu, Rony Kramer, Jean-Christophe Bouvet
Durée : 80 minutes
Origine : France

Publiée le : 22 Octobre 2004