NOTORIOUS (1946)
Alfred Hitchcock
Par Alexandre Fontaine Rousseau
«Dans les films, habituellement, quand des espions veulent se
débarrasser de quelqu'un, ils ne s'encombrent pas de précautions;
ils le tuent d'un coup de revolver ou l'emmènent en voiture pour
l'abattre à l'écart d'une habitation, ou encore ils laissent
son cadavre dans une voiture qu'ils précipitent de très
haut pour simuler un accident. Au lieu de cela, j'ai voulu montrer des
méchants qui se conduisent d'une façon raisonnablement
méchante.» - Alfred Hitchcock (discutant de Notorious
avec François Truffaut)
Dans Psycho, Norman Bates ressuscite dans son état avancé
de schizophrénie sa vieille mère morte depuis belle lurette.
Il s'agit là d'une fascinante perversion d'un thème cher
à Alfred Hitchcock, celui de la mère castratrice. Cet
archétype est déjà bien en place en 1946. Lorsqu'Alfred
Hitchcock proposa en 1944 un scénario de Ben Hecht dont le fameux
MacGuffin serait l'uranium nécessaire à la fabrication
d'une bombe atomique, les producteurs trouvèrent l'idée
d'une «bombe atomique» tellement tirée par les cheveux
qu'ils abandonnèrent le projet. Le film en question, Notorious,
sera l'un des succès majeurs de la période noir et blanc
du maître du suspens. Il faut dire que, comme c'est l'habitude
chez Hitchcock, l'intérêt matériel des personnages
demeure secondaire à un drame humain sordidement comploté.
«L'histoire de Notorious, c'est le vieux conflit entre
l'amour et le devoir», dira Hitchcock à son confrère
François Truffaut.
Bien qu'il n'atteigne pas les mêmes sommets que certains des classiques
les plus vénérés de ce véritable monument
du septième art qu'est Alfred Hitchcock, Notorious demeure
un exemple probant de l'emprise totale qu'avait le mythique réalisateur
sur les rouages du cinéma. Voici le modèle Hitchcockien
distillé à sa plus pure essence. Notorious fonctionne
parce qu'il élimine tout élément superflu, se concentrant
à ériger autour de ses personnages une cage étouffante
de laquelle il semble tout bonnement impossible de s'échapper.
Notorious s'amuse à faire languir le spectateur pour
mieux établir la cruelle logique de ses dilemmes. Tant et si
bien que lorsque le suspens s'installe, c'est pour ne plus nous relâcher
jusqu'à une autre splendide finale coupe-gorge où le montage
cinématographique nous prouve une fois de plus que le temps est
véritablement une matière élastique.
Pourtant, Notorious n'est à la base qu'un triangle amoureux.
Durant la période de l'après-guerre, un agent secret américain
(Cary Grant) s'éprend de la fille d'un sympathisant nazi (Ingrid
Bergman). Celle-ci est cependant convoitée par les services secrets
afin de charmer et de soutirer des informations à un homme qui
l'aimait passionnément il y a de cela fort longtemps (Claude
Rains). D'emblée, l'étau se resserre sur nos héros
lorsque la nature même de leur mission rend précaire le
statut de leur relation. Le professionnalisme du personnage de Cary
Grant l'emporte sur ses sentiments. Dans un premier temps, il laissera
donc filer la femme qu'il aime afin de servir sa patrie.
Comme d'habitude, le sens du cadrage d'Hitchcock révèle
un raffinement fascinant. Bien entendu, le maître est un styliste
inspiré, capable de matérialiser en d'éloquentes
séquences plusieurs sensations psychologiques. Cependant, son
sens visuel évocateur est d'abord au service de la narration,
car le cinéma d'Hitchcock parle d'abord en images. Les dialogues
sont un luxe qu'il se permet, mais dont ses films pourraient aisément
se passer. En ce sens, il incarne le cinéma à l'état
pur. Le suspens prenant qu'il arrive à créer à
l'aide d'une simple clé et d'une bouteille de verre brisée
relève de l'exploit.
Dans le domaine technique, Hitchcock est carrément en avance
sur son temps. Toutefois, c'est sa direction d'acteur qui vole la vedette.
Tandis qu'Ingrid Bergman est formidablement déchirée,
Cary Grant demeure somptueusement au-dessus de ses émotions.
Néanmoins, c'est le personnage plus fragile de Claude Rains qui
s'avère aussi le plus triste. Il sera en fin de compte victime
de son amour et de sa confiance, alors que son rival lui volera sa femme
dans une volte-face fatale. Abusé par tous et écrasé
du début à la fin par une mère machiavélique
à souhait, le pauvre homme laisse s'échapper la femme
de sa vie tandis que, dans sa demeure, ses complices comprennent la
nature de la partie qui vient de se jouer. Ils l'appellent froidement.
Rains échange un regard terrorisé, typiquement hitchcockien,
avec la caméra. Il remonte lentement les escaliers en sachant
pertinemment bien qu'il avance vers sa propre mort. Nous le savons aussi.
Le film se termine à cet instant crucial où tout s'effondre.
Version française : -
Scénario :
Ben Hecht
Distribution :
Cary Grant, Ingrid Bergman, Claude Rains, Louis
Calhern
Durée :
101 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
10 Mai 2006