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NORIKO'S DINNER TABLE (2005)
Sion Sono

Par Jean-François Vandeuren

Rares sont ces films que l’on pourrait qualifier de suites, mais en même temps, il s’agirait d’une appellation qui ne rendrait pas tout à fait justice à l’œuvre. C’est un peu le cas de ce Noriko’s Dinner Table de Sion Sono. Le cinéaste japonais reprit ici quelques bribes de son Suicide Club en les resituant dans un tout autre contexte. Il nous ressert ainsi les mêmes images qu’il nous présenta en 2002 où 54 jeunes filles se jetaient en même temps devant un train qui arrivait en gare, mais mis à part cette scène d’une violence inouïe, il ne reste plus grand chose des intentions du film original, autant au niveau du discours que de la mise en scène. Et c’est définitivement mieux ainsi. Car en bout de ligne, Suicide Club ne formait qu’un drame policier et d’horreur qui s’égarait dans un scénario ambitieux, mais un peu trop brouillon. Sono déconstruit ici pour mieux reconstruire ensuite. Ayant visiblement appris de ses erreurs, ce dernier nous convit avec Noriko’s Dinner Table à un effort tout aussi étrange et dérangeant, mais qui a désormais énormément de suite dans les idées.

Sono ne tisse toutefois pas les liens avec Suicide Club dès le début du film. Les références à ce dernier n’apparaissent alors que comme de simples clins d’œil du réalisateur envers son film le plus connu. Pendant ce temps, le cinéaste prépare le terrain pour un récit assez volumineux. L’effort nous introduit d’abord au cas de Noriko, une adolescente de 17 ans qui se sent étouffée par sa vie au cœur d’une petite localité où il ne se passe pas grand chose. Elle abandonnera tout sur un coup de tête pour aller rejoindre Kumiko, une amie qu’elle a connue par le biais d’un site internet, à Tokyo. Cette dernière la présentera alors à sa famille qui lui semblera un peu trop parfaite. C’est à ce moment que Sion Sono nous réintroduit au cas du suicide collectif de son film précédent. Ne sachant pas trop si Noriko était impliquée, sa sœur tentera tout de même de comprendre le départ de cette dernière en suivant sa trace, laissant quelques indices à son père qui fera tout par la suite pour les retrouver.

Le film est divisé en cinq chapitres, chacun exposant la version des faits d’un des quatre personnages principaux, plus une conclusion. Plutôt que de réutiliser la même approche visuelle excessive de Suicide Club, Sion Sono misa cette fois-ci sur l’élaboration d’un récit non-linéaire extrêmement efficace, s’inspirant entre autre de The Usual Suspects de Bryan Singer. Il faudra donc se montrer attentif face à ce qui nous est raconté pour ne pas se laisser berner par les fausses pistes élaborées par un Sion Sono s'amusant à nos dépends par le biais des apparences et du point de vue de ses protagonistes. Noriko’s Dinner Table se démarque également par son utilisation démesurée de la narration en voix off. Celle-ci est conduite dans le cas présent par chacun des quatre personnages principaux. Cela nous donne l’impression d’entrer à l’intérieur d’un univers forgé sur un moule littéraire où les images prennent forme sous une histoire continuellement racontée et dans laquelle ne se glissent qu'une poignée de dialogues audibles.

Sion Sono nous propose une fois de plus un discours social corrosif, mais d’une façon beaucoup plus inventive que par le passé. Le cinéaste forme alors un pied de nez foudroyant à toute forme de quête du bonheur et de l’égoïsme pouvant en découler de manière inconsciente ou non. Ce dernier remet tout aussi habilement en question le rôle de tous et chacun dans un monde de plus en plus défini par l’isolement et l’individualisme. Un exemple significatif du film de Sono, qui suit d’ailleurs l’une de ses principales trames narratives, parle d’une agence dont les membres offrent à leurs clients des services des plus inhabituels comme interpréter un membre de leur famille le temps d’un après-midi. Mais certains rôles peuvent avoir des conséquences particulièrement funestes. Un point que les mandataires de cette organisation endossent avec une inquiétante lucidité. Ceux-ci se débarrassent ainsi de toutes notions encombrantes de justice et de morale dans un monde défini plus souvent qu'autrement par la souffrance.

Sion Sono parvint ainsi à corriger la plupart des bévues de son effort de 2002. Ce dernier partit pourtant d’un scénario plus éclectique, mais qui, étrangement, s’avère aussi beaucoup plus cohérent. Le cinéaste utilisa pour ce faire divers procédés d’écritures qu’il présente à l’écran d’une manière fortement nuancée. Il n’est pas essentiel d’avoir vu Suicide Club pour apprécier le présent opus. Pas de doute par contre qu’il s’agit d’un plus permettant de se placer rapidement dans le contexte du film. Sion Sono élabora également une structure narrative solide qu’il soutient tambour battant pendant près de deux heures quarante minutes. Un point qui n’est pas sans rappeler les prouesses du formidable Magnolia de Paul Thomas Anderson. Le tout est soutenu par une réalisation très énergétique et une trame sonore nous donnant l’impression d’assister à une représentation d’un cirque ambulant aux tendances très dramatiques. Noriko’s Dinner Table forme en définitive un revirement de situation total par rapport à Suicide Club. Un exploit impressionnant que Sion Sono réalisa grâce à une ingéniosité pour le moins exceptionnelle.




Version française : À Table avec Noriko
Version originale : Noriko no shokutaku
Scénario : Sion Sono
Distribution : Kazue Fukiishi, Ken Mitsuishi, Tsugumi, Yuriko Yoshitaka
Durée : 158 minutes
Origine : Japon

Publiée le : 20 Septembre 2005