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NO MAN'S LAND (2001)
Danis Tanovic

Par Jean-François Vandeuren

Sans le savoir, vous avez surement déjà vu des images filmées par le réalisateur bosniaque Danis Tanovic. En effet, ce dernier est responsable d’énormément de segments télédiffusés partout à travers le monde lors du conflit bosniaque il y a de cela plus de dix ans aujourd'hui. Après s’être surtout concentré sur un cinéma de type plus réaliste, ce dernier nous offrait avec No Man’s Land sa première oeuvre de fiction qui se veut une sorte de compte-rendu métaphorique de ce dont il a été témoin en 1993. En combinant audacieusement plusieurs éléments qui ne vont pas nécessairement ensemble d’ordinaire, le réalisateur signe une critique décapante de toute l’absurdité entourant ce genre de conflit.

L’audace est d’autant plus forte où dans ce long-métrage à mi-chemin entre le film de guerre et l’humour noir, les intentions du réalisateur furent de représenter le conflit bosniaque et ses principaux acteurs en la limitant à trois soldats, deux bosniaques et un serbe, une tranchée, les médias et quelques Schtroumfs (les casques bleus si vous préférez). Pourquoi un Serbe et deux Bosniaques seraient-ils coincés ensemble dans une même tranchée? Tout simplement car l’un des deux militants bosniaques est couché sur une mine bondissante qui explosera s’il bouge d’un centimètre. Pendant que l’ONPROFOR tente de gérer la situation entre le front et un cirque médiatique, les deux autres soldats s’échangent tour à tour les rôles de l’agresseur et de l’otage entre la haine et une possible amitié.

Il fallait tout de même une certaine habileté pour rendre d’une manière convaincante une situation aussi étroitement composée. Il faut dire que dans les idées que le réalisateur nous présente, un schéma se dessine peu à peu et des cibles se dévoilent par la critique. Tout d’abord, il s’attaque aux soldats en nous les montrant comme rien de moins que deux enfants égoïstes cherchant respectivement à mettre la charge de la faute sur les épaules de l’autre. Le problème est qu’au fil des revirements de situation, car une énorme partie de la structure du récit repose sur ce procédé, le cinéaste nous fait remarquer que beaucoup de détails unissent ces deux hommes. Eux aussi le réalisent, mais une escarmouche survient toujours, faisant alors régresser les «pourparlers» jusqu’au point de départ. Mais la cible principale de l’offensive de Tanovic demeure les Forces de Protection de l’ONU où beaucoup d'éléments sont mis en place, parfois de façon un peu insistante, afin de questionner l'état de leur présence dans le conflit où les casques bleus sont réduis malgré eux aux rôles de spectateurs alors qu’ils devraient être des acteurs. Mais dans cette situation plutôt chaotique, le but premier pour l’organisme demeure de sauver la face devant le cirque médiatique se créant peu à peu autour de la tranchée. D’autre part, une place prédominante est aussi laissée à toute la question de la langue où Tanovic continue de marteler l’ONPROFOR en nous montrant des casques bleus venus en territoire hostile pour tenter de rétablir la paix. Ces derniers ne parlent pourtant pas un mot de la langue du pays. Dans cet ordre d'idées, c’est une situation qui explique en même temps pourquoi le film n’a pas été traduit et croyez-moi, l’utilisation des sous-titres est plus que nécessaire et justifiée dans No Man's Land.

En ce qui concerne la mise en scène, Tanovic réussit à combiner deux styles totalement opposés. Il insuffle dans un premier temps un aspect rappelant fortement le documentaire, surtout en ce qui a trait au traitement des éléments concernant le rôle des médias et de l’ONPROFOR. Et à l’autre extrémité, il réussit également à gérer son récit d’une façon très théâtrale, sans tomber toutefois dans l’exagération. Il faut dire que vu le nombre assez restreint de lieux où se déroule principalement l’action, le tout pourrait facilement être adaptable en une pièce de théâtre. Pour renforcer le premier aspect, le cinéaste utilise un support musical totalement absent où les seules notes de musique que vous entendrez de tout le film sont pour la scène d'ouverture et la conclusion. Ce point est d’autant plus intéressant puisque Tanovic a le mérite de ne pas avoir eu recours à une source créatrice d’effets mélodramatiques comme c’est souvent le cas dans ce genre de film. Car ce qui percute justement dans No Man’s Land, c’est tout le naturel avec lequel la situation nous est présentée et dans ce même ordre d’idées, chapeau aux acteurs principaux qui livrent tous une performance irréprochable. C’est également un film qui n’est pas sans nous rappeler, notamment, le long-métrage Three Kings du cinéaste américain David O. Russell du point de vue de la mise en scène et de l'idée d’une barrière invisible entre le coeur, la tête et des mains liés par le système.

Un conflit armé est totalement absurde et Danis Tanovic le démontre admirablement bien avec ce film. On lui pardonnera d’être parfois trop insistant vue la façon vigoureuse avec laquelle il traite son propos. No Man’s Land se veut un regard beaucoup plus franc sur ce qui se passe dans les tranchées, où l’héroïsme habituel laisse toute la place à l’enfantillage et l’entêtement aveugle des deux camps. Tanovic nous laissera en final sur une note qui pourra paraître aux yeux de certains comme étant plutôt prévisible, mais n’est-elle pas là toute l’ironie?




Version française : No Man's Land
Scénario : Danis Tanovic
Distribution : Branko Djuric, Rene Bitorajac, Filip Sovagovic, Georges Siatidis
Durée : 98 minutes
Origine : Bosnie-Herzégovine, Slovénie

Publiée le : 21 Janvier 2004