NOI (2003)
Dagur Kári
Par Jean-François Vandeuren
Ayant remporté plusieurs prix dans de nombreux galas et festivals
en Europe et même aux États-Unis, ce premier long-métrage
du cinéaste islandais Dagur Kári acquit rapidement une
réputation internationale enviable, comparable même à
celle de Donnie Darko. Il faut dire que Nói
et le film de Richard Kelly ont beaucoup en commun. Sans l’attrait
pour le surnaturel et la science-fiction du hautement captivant premier
film du réalisateur américain, Kári substitue dans
cet effort la prévisibilité et la vision fermée
d’une ville de banlieue des États-Unis par le paysage hivernal
tout aussi lassant d’un minuscule fjord isolé du nord de
l’Islande. Nói nous met dès lors en contact
avec un personnage titre visiblement déphasé du monde,
en surface calme et blasé, mais possédant intérieurement
une âme aux idées excentriques et peut-être même
celle d’un génie. Ennuyé par le manque d’opportunité
de son petit village coupé du monde extérieur, ce dernier
ne tente aucunement d’accomplir quoi que ce soit, préférant
errer entre son école quand ça lui chante, la maison de
sa grand-mère, celle de son père, la libraire du coin,
et la station service locale où il y rencontrera Iris. Cette
dernière viendra alors quelque peu contrecarrer ses plans à
saveur nihilistes et l’inspirera, on s’en doute bien, à
quitter sa vie morne pour quelque chose de mieux. Y arrivera-t-il simplement?
Dagur Kári nous convie donc à un effort sur l’ennui
qui ne se révèle fort heureusement jamais ennuyeux, ou
presque. Ce dernier exploite d’ailleurs assez adroitement un scénario
mouvementé au minimum dans un contexte figé dans le temps,
dont les limites semblent effacer toutes motivations et perspectives
d’avenir des habitants de la communauté qu’il nous
présente. Un schéma que le cinéaste prend de longues
minutes à tracer et ce, malgré la durée totale
plutôt courte de l'essai. Kári semble d'ailleurs avoir
été un peu pris à court à partir du point
tournant de son film qui parait somme toute un peu excessif. Mais la
mise en situation fantomatique initiale expose particulièrement
bien cette espèce de contagion généralisée
où tout le monde s’acquiesce de sa besogne sans broncher,
forçant la note sur une forme d’isolement qui tend à
devenir un mode de vie, dans lequel Nói se réfugie de
temps à autre par le biais d'une pièce complètement
fermée creusée sous sa demeure. S’y injecte du même
coup une morale évidente sur le fait qu’il faut savoir
saisir les opportunités qui passent, dont l'intérêt
dans ce cas-ci se retrouve dans la manière dont Kári parvient
à appliquer subtilement son discours à l’ensemble
de ses sujets secondaires.
Pour sa part, la palette visuelle du cinéaste n’offre évidemment
aucune extravagance notable ou effet de style particulier, y allant
à l’opposée d’une réalisation à
l’image même du film, froide et réservée,
mais tout de même très appliquée. Le tout se développe
avec aisance sur un ton assez lourd et imprégné d’une
approche réaliste qui ne se situe pas si loin de ce que peut
nous offrir le numérique. Le minimalisme omniprésent du
récit et du jeu des acteurs, qui comme tout le reste se prête
agréablement bien aux circonstances et idées du scénario
de Dagur Kári, se reflètent aussi parfaitement dans une
trame sonore tout aussi glaciale, et une direction photo qui, de bien
des façons, supportent le film presque entièrement sur
ses épaules par ses teintes abimés de couleurs fades et
d’une blancheur aveuglante.
Nói forme en définitive une esquisse hivernale
convaincante au scénario comblant un manque d’originalité
par une structure habilement développée et des atmosphères
fort à propos, se jouant de toutes les règles de lenteur
finement mises en scène dans ce genre de films sortant des quatre
coins du globe depuis un bon bout de temps déjà. Le film
de Dagur Kári parvient dans une certaine mesure à tirer
son épingle du jeu grâce à un récit qui étire
sans cesse ses pistes sans que le temps n’en paraisse plus long.
On restera cependant de glace devant une finale symbolique de circonstance
un peu trop tirée par les cheveux. Un premier effort intéressant
et proposé avec un savoir-faire évident, autant au niveau
technique que de l’écriture, mais reste que dans le genre,
il s’est fait définitivement mieux il n’y a pas si
longtemps. Satisfaisant, mais on commence à connaitre la chanson
un peu trop par cœur.
Version française : -
Version originale:
Nói albínói
Scénario :
Dagur Kári
Distribution :
Tómas Lemarquis, Pröstur Leó
Gunnarson, Elín Hansdóttir
Durée :
93 minutes
Origine :
Islande
Publiée le :
17 Août 2005