NÔ (1998)
Robert Lepage
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le troisième long-métrage de Robert Lepage s'alimente
à même l'une des Septs branches de la rivière Ota,
pièce-fleuve de sept heures dont le célèbre dramaturge
québécois adapte avec Nô le dernier segment
intitulé Les mots. Plus léger que ses prédécesseurs
Le confessionnal et Le polygraphe, Nô
voit Robert Lepage s'aventurer sur le territoire de la comédie
avec un aplomb satisfaisant. Construit à partir de deux intrigues
parallèles, le film nous fait vivre des événements
se déroulant simultanément à Osaka et à
Montréal durant la crise d'octobre. Alors que Michel (Alexis
Martin) tente tant bien que mal de jouer aux terroristes au sein d'une
cellule du FLQ, Sophie (Anne-Marie Cadieux) découvre qu'elle
est enceinte à la veille de la représentation d'une pièce
Feydeau à laquelle elle participe pour le compte de la délégation
culturelle canadienne à l'exposition universelle de 1970.
Dès le départ, Nô instaure le principe
que les séquences montréalaises sont tournées en
noir et blanc dans un style relativement sobre tandis que les scènes
se déroulant au Japon sont en couleur et exploitent des décors
plus relevés ainsi que des méthodes de tournage plus stylisées.
Cette construction visuelle rend plus tangible la distance qui sépare
Michel et Sophie alors qu'ils vivent tous deux des événements
marquants. Le film de Lepage traite d'identité culturelle et
d'identité personnelle, parfois des conflits entre ces deux notions.
Alors que Michel et ses camarades s'apprêtent à poser une
bombe, le voici remettant en question la syntaxe et l'orthographe du
communiqué écrit par un de ses comparses. Les mots sont
au coeur de ce combat et il faut prêcher par l'exemple si on espère
triompher. Ses amis moins portés sur l'aspect intellectuel de
la lutte ne voient pas les choses de la même façon.
Mais plutôt que de faire de ses réflexions le pivot central
de son film, Lepage s'efforce avec Nô de livrer de prime
abord une bonne comédie bien rythmée. D'où les
références formelles à Feydeau qui informent le
gag final du segment d'Osaka ainsi que le momentum comique remarquable
de plusieurs des scènes montréalaises. Les dialogues fonctionnent
au quart de tour tandis que les situations comiques se multiplient à
un rythme effréné. Le souper que Sophie doit endurer avec
l'attaché culturel du Canada et sa femme snob, pincée,
arrogante et méprisante est un savoureux exercice d'hypocrisie
qui finit par éclater. Ce débat entre deux agents de la
GRC qui tentent de définir le nombre d'individus se trouvant
dans l'appartement de Michel à partir de la nature de leur commande
de poulet fonctionne merveilleusement bien. Si Lepage espérait
livrer avec Nô une comédie solide, il y arrive
sans problème.
Là où les intentions de Lepage demeurent vagues, où
le spectateur est en droit de se demander si le réalisateur n'a
pas raté la cible, c'est au niveau thématique. Éparpillé,
parfois même confus, le propos de Nô demeure difficile
à saisir. Les thèmes se multiplient sans toujours se réunir
en une même idée directrice. Heureusement, un épilogue
se déroulant le soir du premier échec référendaire
arrive plus ou moins à relier les différentes tangentes
que prend le scénario pour concrétiser le film en une
espèce de réflexion sur l'absence de projets communs au
sein du couple, révélé par l'effondrement de ce
projet social commun qu'est la souveraineté. Viendront ensuite
les années 80 et le repli sur l'individu.
Nô fonctionne d'abord et avant tout à titre de
comédie intellectuelle bien ficelée et bien jouée
que Lepage dirige comme à l'habitude avec un grand flair visuel.
Sachant ici faire le pont entre le théâtre et le cinéma,
le dramaturge y confirme une fois de plus qu'il mérite une caméra
ainsi que son titre de réalisateur. Ses transitions finement
ciselées et son sens aiguisé de la narration filmique
rehaussent un film drôle et sympathique mais parfois un peu confus,
que l'on écoute tout de même avec un grand plaisir.
Version française : -
Scénario :
Robert Lepage, André Morency
Distribution :
Anne-Marie Cadieux, Alexis Martin, Marie Brassard,
Richard Fréchette
Durée :
85 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
29 Juin 2005