NIGHT WATCH (2004)
Timur Bekmambetov
Par Jean-François Vandeuren
Premier acte d’une trilogie basée sur la série de
romans du même nom de Sergei Lukyanenko, Night Watch
fut pour la Russie une de ses plus couteuses productions cinématographiques,
laquelle connut dès sa sortie un succès retentissant dans
son pays d’origine, accumulant des recettes en salles qui dépassèrent
celles des plus gros canons hollywoodiens tels Spider-Man 2
et Return of the King. Il est évidemment un peu tôt
pour dire si le cinéma russe débute ici son américanisation
comme ce fut le cas en France. Mais à l’opposé des
nombreuses tentatives infructueuses des Français qui essaient
tant bien que mal d’offrir aux amateurs des productions fantastiques
sérieuses, et surtout de qualité, et ainsi mettre un terme
à une disette qui perdure depuis La Cité des enfants
perdus, Timur Bekmambetov parvint de manière extrêmement
convaincante à élaborer un mélange gagnant d’éléments
d’horreur et de science-fiction, reprenant une formule que les
Américains exploitent de façon outrancière et souvent
maladroite depuis le début du nouveau millénaire.
Night Watch reprend à sa manière un scénario
classique qui débute ici à la fin du XIVe siècle
lors d’une bataille sanglante entre les guerriers de la lumière
et les forces de l’ombre. Constatant que leur égalité
les mènera assurément vers une destruction mutuelle, un
pacte est conclu afin que l’équilibre entre les deux extrêmes
soit maintenu. Les deux légions ont depuis mis sur pied leur
association respective devant surveiller et réguler les pratiques
du côté opposé, en l’attente d’un élu
qui désignera le vainqueur de cet affront dépendamment
du clan auquel il se joindra.
Un projet donc ambitieux qui réussit là où Hollywood
échoue la plupart du temps, mais qui, comme la ville reine des
productions à gros budgets, essaie parfois d’en faire beaucoup
trop. Là où le film de Bekmambetov se distingue du lot
est dans la façon dont il parvient à mettre en scène
avec autant d’éclat et de crédibilité un
scénario complètement dominé par de nombreuses
trouvailles fantastiques souvent inusitées. La manière
dont les notions de bien et de mal sont abordées dans le présent
film se révèlent aussi fort pertinentes. Il s’agit
d’ailleurs d’un point qui a tendance à échapper
à certaines logiques. Si l’on prend le cas de Star
Wars, les Jedis de Lucas conçoivent que l’équilibre
dans la force doit passer par l’anéantissement des Siths,
et donc du côté obscur. Un mode de pensée que le
réalisateur américain remit assez savamment en question
d'ailleurs dans le troisième volet de sa saga en nous amenant
à reconsiderer la validité du discours de ceux que le
cinéma conçoit unilatéralement comme étant
des héros. De son côté, Night Watch pousse
cette initiative un peu plus loin en effectuant une esquisse un peu
plus près de la réalité politique d’aujourd’hui,
alors que l’idée d’équilibre dans le cas présent
passe par un respect mutuel entre les deux entités, toutes deux
capables de se conformer aux règles établies, desquelles
s’esquivent évidemment certains personnages se croyant
tout permis, mais ne condamnant pas par exemple le vampirisme comme
un fléau devant être détruit, et dont les hôtes
sont d'ailleurs tout aussi désireux de vivre une vie normale
que le premier venu.
Et ce qui n’aurait pu être qu’un simple spectacle
artificiel et tapageur propre aux divertissements destinés à
la génération MTV du même type qu'un Underworld
s’avère finalement une réussite esthétique
impressionnante et tout à fait à propos, nous gavant de
divers effets de style toujours utilisés à bon escient,
et surtout aux bons endroits. Le cinéaste russe s’inspira
évidemment des réalisateurs américains et britanniques
les plus en vue du moment, empruntant à la signature de Danny
Boyle, ou en sortant un des petits tours de passe-passe de David Fincher.
Bekmambetov se joue en ce sens d’une composition visuelle à
la mode qu’il parvient à rendre audacieuse en mélangeant
le réalisme d’une caméra à l’épaule
et le raffinement d’un traitement plus classique à un moule
et une série de concepts typiques du vidéo-clip, dont
certains directement liables au formidable clip pour la chanson Rabbit
in Your Headlight du duo Unkle. Night Watch envoute également
grâce à une photographie à la fois glauque, fade
et colorée, et surprend par la qualité incroyable de son
montage, particulièrement lors des scènes un peu plus
mouvementées, faisant part d’un flair hallucinant dans
la manière dont s’enchaine parfois une série de
plans assez volumineuse, tout en parvenant à garder le cap vers
un développement plus en douceur le temps venu. Et malgré
un budget assez mince, le cinéaste parvient à prouver
hors de tout doute qu’il est possible de faire beaucoup avec peu
en utilisant simplement un jeu de caméra plus vivant pour faire
passer admirablement bien des effets spéciaux qui ne peuvent
posséder l’étoffe de ceux des grosses productions
américaines.
Le film de Timur Bekmambetov s’affiche donc comme un véritable
festin pour les yeux. Mais si le cinéaste parvient à nous
aspirer dans son univers fantastique de manière inspirée
et toujours ludique, il est cependant dommage de voir une entrée
en matière et une réalisation aussi solides s’entremêler
dans un récit qui perd de sa cohérence pendant la deuxième
moitié du film, prenant visiblement un peu trop pour acquis que
tous ceux s’intéressant à Night Watch ont
lu les romans de Sergei Lukyanenko. Night Watch propose néanmoins
un scénario somme toute compréhensible d’un bout
à l’autre de l’essai, mais qui aurait sans doute
pu être un peu plus épuré. Celui-ci laisse en chemin
quelques interrogations dont l’absence de réponses risque
d’en dérouter plus d’un. Reste à voir maintenant
si les deux prochains épisodes sauront répondre à
quelques-unes d’entre-elles. Un départ réussi qui
risque d’allier une base d’adeptes assez consistante pour
garantir le succès des films suivants. Espérons maintenant
que Bekmambetov aura appris des erreurs du premier chapitre sans chercher
à abuser à outrance de ses plus grandes qualités.
Version française : -
Version originale :
Nochnoi Dozor
Scénario :
Timur Bekmambetov, Sergei Lukyanenko (roman)
Distribution :
Konstantin Khabensky, Vladimir Menshov, Mariya
Poroshina
Durée :
114 minutes
Origine :
Russie
Publiée le :
25 Juillet 2005