NICK AND NORAH'S INFINITE PLAYLIST (2008)
Peter Sollett
Par Louis Filiatrault
La question de l'adolescence au cinéma fait l'objet d'une véritable
bataille rangée. D'un côté, des films comme Snow
Angels ou Paranoid Park s'efforcent d'en faire un portrait
juste et mature (au prix, il faut le dire, d'un auditoire) ; de l'autre,
des chefs-d'oeuvre comme College continuent de capitaliser
sur le succès mythique d'American Pie, et surtout de
renforcer le quotient moyen de publics toujours plus jeunes. Entre ces
deux extrêmes, si les vertus d'un Superbad restent matière
à division, la mémoire cinéphilique récente
retient Juno comme exemple assez réussi d'équilibre
entre finesse d'observation et cachet populaire. Mais ce genre de succès
a aussi son double tranchant: le risque d'imitation opportuniste et
superficielle, produit d'une logique d'exploitation carnassière.
Et à ce titre, Nick & Norah's Infinite Playlist
annonçait tout de l'imbuvable désastre : un recyclage
de vedettes familières, une trame sonore au goût du jour
(lire: périmée dès la consommation), une folie
douce mais somme toute rigoureusement contrôlée, et ainsi
de suite. Mais il arrive qu'un film échappe au formatage apparent
que lui impose la machine publicitaire et parvienne à se tailler,
ne serait-ce que modestement, une place qui est bien la sienne. Le film
de Peter Sollett, confronté aux attentes les plus moyennes, se
tire ainsi franchement bien d'affaire.
Malgré une mise en situation tout à fait convenable, le
périple de Nick et de Norah, qui se découvriront des affinités
au cours d'une nuit fort agitée, commence pourtant bien mal.
La longue scène se déroulant dans une salle de concert,
inaugurant une multitude de trames narratives, transpire le malaise
d'une bande de jeunes sympathique mais laissée à elle-même,
aux prises avec une mise en scène rigide, des dialogues peu inspirés,
et des situations parfaitement invraisemblables. Heureusement, les choses
commencent à prendre forme dès le moment où les
héros titulaires se retrouvent à l'avant d'un véhicule
à la mécanique douteuse, et que le film, soutenu par une
grande souplesse à la réalisation, entame un délirant
parcours à travers les quartiers de New York. Visiblement tourné
dans la meilleure des humeurs, la plus grande qualité de Infinite
Playlist est en effet de laisser du jeu à ses interprètes,
cabotinant allègrement et affichant un jeu physique bien dégourdi.
Un montage particulièrement vif donne rythme et cohérence
à leurs échappées, tandis qu'une photographie s'en
tenant essentiellement aux innombrables lumières urbaines procure
une facture visuelle à la fois crue et dynamique. Composée
d'escales relativement brèves et toujours très animées,
l'action ne compte pour sa part que très peu de temps morts.
En somme, tout est en place pour un visionnement stimulant et distrayant,
à défaut d'être nécessairement intelligent.
Mais outre la vivacité du traitement, c'est l'humour et la franchise
avec lesquelles sont appréhendés l'univers nocturne et
les enjeux sentimentaux qui donnent un peu de tonus à un récit
qui s'avère, au fond, tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Si
aucun d'entre eux ne s'embrasse à l'écran, les homosexuels
sont dépeints sans condescendance, dans leur flamboyance mais
aussi dans leur engagement tout à fait sincère envers
les protagonistes. Le spectacle pitoyable de l'adolescente ivre à
l'extrême frise souvent le ridicule, mais s'avère tout
de même fort représentatif de ce genre de phénomène.
Et si le scénario n'est pas dépourvu de revirements prévisibles,
voire programmés, les réparties que s'échangent
les jeunes personnages, souvent très drôles, parfois d'un
mauvais goût parfaitement assumé, sont écrites avec
une justesse étonnante. À ce titre, le jeu de séduction
ayant cours entre Michael Cera et Kat Dennings, développé
à coups de froissements subits, de malaises implicites et de
clins d'oeil complices, étonne par son naturel et sa subtilité.
Dans un habile contournement des conventions, c'est ici le personnage
masculin qui est au départ le principal objet du désir,
mais la partie entre ces deux individus intelligents et sensibles est
jouée à armes égales, et se résout lors
d'une séquence d'une délicatesse tout à fait inattendue,
culminant sur ce tabou absolu de la comédie sentimentale traditionnelle:
l'orgasme féminin. Devant une chimie romantique rendue avec autant
de fraîcheur, il est dommage d'observer le traitement grossier
réservé aux « ex » des deux personnages, incarnés
par la désagréable Alexis Dziena (la « Lolita »
de Broken Flowers, à qui on ne donnerait jamais 25 ans...)
et le jeu insolite de l'omniprésent Jay Baruchel. Dépeints
sans nuance comme des manipulateurs froids et cupides, leur présence
apporte un côté manichéen bien malheureux à
un film qui parvient autrement à l'éviter avec intelligence,
et constitue un argument plutôt artificiel à la réunion
des deux protagonistes.
Car la principale raison d'être du projet demeure bien sûr
le rassemblement de deux jeunes vedettes sympathiques et attirantes,
au physique atypique mais à la tendresse naturelle. Le grand
succès de l'entreprise est de faire passer cet objectif mercantile
pour quelque chose de tout à fait senti, et de nous entraîner
au passage dans une chasse au trésor sans prétention autre
que de divertir agréablement. L'autre argument de vente du film
(au point de composer la moitié de son abominable titre), à
savoir la musique « indie rock », est abordé avec
maladresse à quelques occasions, mais demeure pour l'essentiel
assez discret, se fondant à l'ensemble sans attirer inutilement
l'attention sur lui-même. À cet égard, les priorités
des auteurs sont mises en évidence par un dénouement où
l'escapade romantique prime sur le spectacle d'un groupe pourtant adoré
par les jeunes héros. Certains douteront (avec raison) de la
probabilité et de la valeur idéologique de cet amour naissant
et se consommant au bout de quelques heures seulement. Mais l'illustration
de la nature et des pulsions adolescentes, proposée ici par un
réalisateur n'en étant pas à son premier essai
dans ce territoire thématique, s'avère assez convainquante
pour pardonner plusieurs incongruïtés et toucher de façon
sincère. Bien meilleur que ne le laisseraient croire sa surface
puérile et ses pénibles premières minutes, Nick
and Norah's Infinite Playlist n'atteint pas les sommets du genre
mais se laisse apprécier sans arrière-goût trop
amer... que l'on soit capable ou non d'endurer Vampire Weekend.
Version française : -
Scénario :
Lorene Scafaria, RAchel Cohen et David Levithan
(roman)
Distribution :
Michael Cera, Kat Dennings, Aaron Yoo, Rafi Gavron
Durée :
90 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
6 Février 2009