THE NEW WORLD (2005)
Terrence Malick
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le premier opérateur-caméra qui dirigea son objectif vers
le soleil craignait de faire fondre sa pellicule. Si personne dans l'histoire
du septième art n'avait pris ce risque, Dieu seul sait ce à
quoi Terrence Malick aurait consacré sa vie. Le cinéma
de Terrence Malick oscille constamment entre le mysticisme envoûtant
et la mystification charlatanesque. Ses films sont des expériences
spirituelles et dépendent par conséquent de la participation
du spectateur. Il faut croire en Malick pour que sa magie s'opère.
Le spectateur s'abandonne à ses images et le réalisateur
américain, pour sa part, s'émerveille longuement devant
la beauté de la nature en orientant sa caméra vers le
ciel dans l'espoir de saisir le divin un instant. C'est probablement
parce qu'il mise sur une relation de confiance avec le spectateur que
Terrence Malick divise autant le public. Les sceptiques ne pigeront
jamais l'intérêt de son discours métaphysique et
de ses oeuvres méditatives parce qu'ils refusent d'emblée
de l'embrasser.
En totale opposition à la tendance actuelle, qui veut que les
drames historiques soient des dérivés du Lord of the
Rings de Peter Jackson misant sur les effets spéciaux numériques
et sur un souffle épique caricatural pour capter l'attention
d'un public impatient et assoiffé de tape-à-l'oeil, le
lent et réaliste The New World fait un bien fou à
voir. Si le Troy de Wolfgang Petersen était un péplum
lourdaud gonflé aux stéroïdes informatiques pour
cacher son absence de cervelle et que la moitié intéressante
du Kingdom of Heaven de Ridley Scott a été abandonnée
sur le plancher d'une obscure salle de montage, The New World
prend le temps de sentir l'époque qu'il dépeint et s'affirme
comme l'oeuvre d'un créateur libre et perfectionniste.
Malgré son mince budget de trente millions de dollars, The
New World propose une reconstitution plus tangible et crédible
de l'époque de la colonisation de l'Amérique que le dispendieux
flop de Ridley Scott 1492: The Conquest of Paradise. En fait,
l'échelle réduite sur laquelle s'opère cette fresque
historique intimiste lui confère une authenticité à
laquelle ne peut tout simplement pas aspirer un spectacle tapageur.
Bien sûr, le traitement Malick est typiquement inimitable. On
reconnaît instantanément son montage sensible voire sensoriel
de même que son amour inconditionnel des lents plans contemplatifs.
Au niveau du style, The New World est un Malick tout craché.
Tout y est, de la toile complexe de narrations en voix-off construite
à la manière d'une course à relais en passant par
l'économie de mots qui laisse toute la place aux images et aux
sons travaillés de manière splendide. D'emblée,
les fanatiques seront conquis.
Heureusement, ces images léchées de forêts gorgées
de lumière sont investies d'une réflexion qui dépasse
leur charme pittoresque. À plusieurs niveaux, The New World
pourrait servir de préface à The Thin Red Line
tant il partage avec ce dernier sa définition de la liberté.
Alors que deux soldats en permission chez les indigènes étaient
ramenés dans l'enfer de la guerre dès le début
de The Thin Red Line, le paradis perdu de John Smith (Colin
Farrell) est celui qu'il connaît en retournant à l'état
sauvage dans une civilisation dite primitive. Libéré des
contraintes de la société européenne, Smith tombera
amoureux de Pocahontas (Q'Orianka Kilcher), la fille d'un puissant chef
amérindien, et vivra comme les semblables de celles-ci dans le
respect égal de toutes les formes de vie de la création.
À partir de ce mythe fondateur de l'Amérique qu'est la
légende de Pocahontas, Terrence Malick échafaude une réflexion
personnelle sur les racines mesquines et la triste ironie de la conquête
du nouveau monde. Ainsi, les colons britanniques venus s'émanciper
des contrainte sociales de l'Angleterre ne comprendront jamais qu'ils
les exportent et viennent les imposer aux habitants légitimes
de cette terre. Le parti pris de Malick pour les amérindiens
est évident. Les couleurs vives de cette nature libre avec laquelle
ils sont en paix se révèle en contraste direct à
la grisaille des jardins d'Angleterre, où même les arbres
ont été domptés par l'homme. Certains critiqueront
la vision naïve que propose le réalisateur de l'Amérique
d'avant la conquête. Cette vision romantique est à prendre
de manière symbolique comme l'essence même de son propos
sur la liberté de l'homme.
Bien entendu, The New World est loin d'être parfait.
La tendance de Malick à trop s'étendre a un impact négatif
sur le dernier segment de son film qui aurait pu être écourté
d'une dizaine de minutes sans que ne soit gâchée sa beauté
gracieuse. Mais il faut faire confiance à Terrence Malick. Éclipsant
les conventions du drame historique pour substituer aux clichés
une poésie remarquable, le nouveau film du réalisateur
de Badlands déstabilisera ceux qui s'attendent à une oeuvre
traditionnelle. Mais il émane de ce périple absorbant,
aux allures de rêve ciselé à même la lumière,
une vision fascinante de l'Amérique sauvage. Méditatif,
contemplatif et spirituel, The New World comble les sens d'une
manière insolite et refuse d'être facilement catégorisé.
Son exploit prend un certain temps avant d'être pleinement assimilé.
Mais depuis quand en est-il autrement d'un film de Malick?
Version française :
Nouveau monde
Scénario :
Terrence Malick
Distribution :
Colin Farrell, Q'Orianka Kilcher, Christian Bale,
Kirk Acevedo
Durée :
135 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
29 Janvier 2006