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NESTOR ET LES OUBLIÉS (2006)
Benoît Pilon

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Benoît Pilon en aura charmé plus d'un grâce au vif et touchant Roger Toupin, Épicier variété. Le réalisateur montréalais y renouait avec les thèmes et la démarche du moins connu mais tout aussi remarquable Rosaire et la Petite-Nation pour approfondir une recherche que poursuit sous un autre angle Nestor et les Oubliés. Ce cinéma personnel s'inscrivant dans la plus pure tradition de Perrault confronte le Québec d'aujourd'hui au Québec d'hier pour élever au rang de fiers survivants des hommes et des femmes simples, vestiges empreints de tendresse et pétris de souvenirs d'une époque révolue. En ce sens, Nestor et les Oubliés marque un point de rupture dans l'oeuvre de Pilon. Après avoir fixé son objectif sur des individus timides et réservés, le documentariste laisse cette fois-ci la parole à une vraie grande gueule - que l'on avait auparavant croisé à quelques reprises en compagnie de Roger Toupin - qui embrasse la caméra avec un plaisir évident.

Vieil excentrique à la syntaxe colorée, Nestor est un véritable personnage fictif arraché au monde réel. Alors que Roger et Rosaire étaient des observateurs passifs, le nouveau protagoniste de Pilon est un guerrier inlassable qui semble à l'abri de l'âge. Chevauchant son vélo pour arpenter le Plateau Mont-Royal peu importe la saison, Nestor est un nomade là où ses prédécesseurs étaient fondamentalement sédentaires. Lorsqu'il ne dessine pas les prothèses que la science moderne ne peut lui fournir, il se bat pour que soit entendue la cause qu'il défend fièrement: orphelin sous le règne de fer de Duplessis, il tente d'obtenir des excuses ainsi qu'une forme de compensation financière pour les abus de toutes sortes dont furent victimes les pensionnaires d'Huberdeau.

Délaissant quelque peu la forme libre et narrative ayant marqué ses essais précédents, Benoît Pilon s'éloigne parfois du personnage de Nestor pour construire autour de son témoignage un documentaire beaucoup plus classique traitant des orphelins de Duplessis, des filles-mères et des crimes sexuels commis par des membres du clergé dans les années 40 et 50. Cette multiplication des thèmes et ce croisement des formes dilue quelque peu la charge de Nestor et les Oubliés. Pilon, dont l'approche chaleureuse et foncièrement humaniste est toujours palpable, délaisse parfois trop longtemps le personnage de Nestor pour signer un documentaire à la facture convenue et artificielle. Les informations qu'il présente sont intéressantes; la présentation frôle parfois le banal reportage.

Heureusement, Pilon comprend que la figure tragi-comique de Nestor est essentielle au bon fonctionnement de son film. Il l'articule donc autour du quotidien et des souvenirs de cet humain à la fois fragile et inébranlable, touchant et insaisissable. C'est autour de ce portrait que gravitent tous les autres éléments inégaux mais dignes d'intérêt du film. En ce sens, Nestor et les Oubliés confirme que la force du cinéma de Pilon réside dans la façon dont il s'attache aux humains pour saisir à chaque instant leur beauté insolite.

Encore une fois, le réalisateur nous révèle la grandeur des gens modestes avec une grande sensibilité et dégage toute la poésie du plus ordinaire des quotidiens. Sa démarche est à la fois historique et introspective. Ainsi, sa caméra sillonne les événements passés et ses acteurs toujours vivants. Benoît Pilon nous invite à renouer avec notre passé collectif tout en nous proposant de réfléchir à notre avenir en tant qu'individu. Pour cette raison, ses films se révèlent malgré leurs défauts des expériences foncièrement enrichissantes.




Version française : -
Scénario : Benoît Pilon
Distribution : Louis-Joseph Hébert, Emile Quenneville, Germaine Hamel
Durée : 74 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 20 Août 2006