NAQOYQATSI (2002)
Godfrey Reggio
Par Jean-François Vandeuren
Agissant à titre de producteur dans ce projet, le réputé
cinéaste Steven Soderbergh révéla en entrevue qu’il
croyait important que ce genre de film soit financé. Et il a
tout à fait raison. Parallèlement à la tournure
que prennent plusieurs éléments de notre monde moderne,
l’importance par rapport au dernier volet tardif de la trilogie
« Qatsi » du cinéaste Godfrey Reggio ne
se situe pas sur une note appréciative. Que vous aimiez la forme
du projet ou non est plutôt superflu. L’essentiel est qu’un
cinéaste a pris une énorme chance en tentant de nous présenter
poétiquement la nouvelle tendance mondiale où le règne
monarchique, voire dictatorial, des empires financiers et des superpuissances
militaires en sont venus à défaire les derniers maillons
d’un système définissable de civilisé seulement
que lorsque le sarcasme est employé.
Naqoyqatsi, ou la guerre en tant que mode de vie, nous transporte
dans un voyage hypnotique présentant l’état du monde
actuel où se contenter d’une partie d’un marché
ne suffit plus et où pour arriver à la prospérité,
il faut savoir écraser tout ce qu’il y a autour. Thématique
présenté à travers plusieurs sous-thèmes
tels: la domination inquiétantes des multinationales, la folle
obsession pour tout ce qui est militaire et la poursuite illusoire de
ce qu’on a déjà baptisé le rêve américain.
Ce thème nous est présenté grâce à
tous les éléments habituels impliqués dans le processus
de mise au frais d’une population croyant vivre sous une tutelle
démocratique par le biais d’une bulle individualiste formée
par le star-system, la frayeur et la vie de famille de nature occidentale,
baignant dans la consommation de produits abordables qui nous apporteront
le soi-disant bonheur et que des familles du tiers-monde se sont si
chèrement tuées à fabriquer pour un salaire de
misère. Le film amène aussi un sérieux regard critique
sur les enjeux environnementaux et humains impliqués dans cette
course folle à la richesse sans fin et au développement
technologique.
Le film de Godfrey Reggio se base sur un procédé bien
simple : une image vaut mille mots. Cela prenait au départ un
certain talent pour amener ce documentaire expérimental complètement
muet à bon escient. Le réalisateur prouve que la construction
de son oeuvre est plutôt phénoménal, car il réussit
à transformer ses idées en un somptueux spectacle abstrait
qui tend a nous faire réagir. Cela fonctionne merveilleusement.
Toutefois, cette forme peut s’avérer être assez difficile
d’approche. La familiarisation avec l’univers narratif de
Naqoyqatsi risque d’en débalancer plus d’un,
ce qui peut être assez problématique puisque par le temps
que le rythme s’installe chez le spectateur, une bonne partie
de la réflexion est déjà loin derrière.
Si vous n’êtes pas familier au départ avec les deux
premiers opus de la trilogie et que vous vous attendez à un documentaire
conventionnel, les premières minutes vous apparaîtront
alors comme une longue introduction qui n’en finit plus, jusqu’au
moment où un déclic viendra indiquer que la forme de l’expérience
continuera de s’étirer. C’est pourquoi un deuxième,
voire même un troisième visionnement s’impose pour
que les idées soient bien assimilées. Ce n’est pas
un défaut en soit. Ce qui pourrait l’être par contre,
c’est qu’il ne s’agit pas d’une oeuvre qui risque
de vous en apprendre beaucoup sur le sujet. Le public cible de Naqoyqatsi
est justement ceux qui ont déjà une rancune bien développée
envers plusieurs phénomènes totalement absurdes et injustes
dont nous (chers occidentaux) sommes la source. Pour ceux correspondant
à ces critères, le film de Reggio pourrait bien être
l’approche poétique tant recherchée. Un peu comme
votre musique préférée, le film est davantage une
source berçante de soutien qu’un documentaire éducatif.
D’autre part, il y a également plusieurs habiletés
techniques notables dans la fable de Godfrey Reggio. Notamment, au niveau
de l’articulation et des transitions entre chaque thématique,
nous les présentant souvent comme reliées les unes aux
autres. Une approche qui vient encore plus renforcer l’intérêt
face à l’intention de l’auteur. Visuellement, il
s’agit d’un spectacle très fluant et magnifique en
images qui est accompagné par une superbe musique de Philip Glass
qui tient pratiquement le rôle du personnage principal de l’essai.
Un film qui trouvera preneur que chez un foyer de spectateurs bien déterminés
et probablement assez restreint du même coup. Les autres devront
peut-être faire un peu plus leurs devoirs avant de s’y aventurer.
Heureusement pour eux, ce ne sont pas les films de premier ordre qui
manquent sur le sujet. Un peu lourd au début, mais l’adaptation
se fait naturellement tôt ou tard. On en ressort peut-être
pas plus heureux, mais certainement moins seul.
Version française :
Naqoyqatsi
Scénario :
Godfrey Reggio
Distribution : -
Durée :
89 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
21 Mars 2004