MY DEAR ENEMY (2008)
Lee Yoon-ki
Par Mathieu Li-Goyette
Depuis sa sortie, le film de Lee Yoon-ki reçoit le plus souvent
comme comparaison certaines similitudes qu’il partage avec le
Adrift in Tokyo de Satoshi Miki. Deux personnages, une ville
à découvrir pour le spectateur néophyte, des rencontres
loufoques, bref la formule se ressemble sur plusieurs points. Pourtant,
alors que le film de Miki faisait du voyage pédestre l’occasion
pour ses personnages perdus de retrouver leur chemin respectif, My
Dear Enemy a l’intelligence de se retourner vers les anciennes
relations de couple et de faire l’odyssée d'un long périple
vers la compréhension et l’autre à travers ce qui
les rassemblait et ce qui les aura ultimement fait se séparer.
Hee-su et Byeong-woon sont certes de personnalités opposées,
mais ce qui les rend justement aussi intéressants, c’est
l’histoire jamais expliquée de leur relation qui, au dire
des anciens amis qu’ils croisent, était si fructueuse et
si parfaite. Porté jusqu’au bout du périple où
Hee-su aura apostrophé son ex-copain pour l’argent qu’il
lui devait, l’homme ne semble pas coupable d’être
en dette (« je n’ai jamais été malheureux
», dit-il) tandis que la nouvelle Hee-su devenue bien plus froide
et hautaine qu’elle pouvait l’être reste silencieuse
à promener cet ancien amour dont elle sait pertinemment qu’elle
ne recevra pas le moindre sous.
Les deux partent donc à la recherche d’argent en allant
cogner à la porte des femmes qui sont, eux aussi comme Hee-su,
tombées dans les filets de notre prince charmant. Visite et malaises
se chevauchent dans un univers calme où les gens se rencontrent
sans trop de hargne et vont dîner en quête de retrouvailles…
et d’autre chose. Le propos de Lee Yoon-ki est justement de s’adresser
au déterminisme amoureux qu’est celui de lier son coeur
à celui d’une autre le temps d’une idylle à
l’échéance hasardeuse. Une fois les rêves
évanouies, qu’est-ce qu’il reste du temps qui leur
aura été incombé? Que reste-t-il d’une certaine
proximité physique, spirituelle, psychologique, des affinités
qu’ils se seront partagés? Confronté à ses
bribes du passé, Hee-su et Byeong-woon reprennent là où
le couple s’était laissé (c’est-à-dire
dans la déchéance) et n’ont ensuite qu’à
comparer la situation qu’ils avaient auparavant. Réunis
dans l’idiotie, la méchanceté ou l’excentricité
des autres femmes rencontrées, nous avons tôt fait de souhaiter
une réconciliation entre les deux opposés. Indiquée
par la mise en scène de plus en plus contemplative, Yoon-ki s’amuse
visiblement à faire de chaque plans réunissant les deux
protagonistes une possibilité de réunion qui ne parviendra
cependant jamais à être filmée.
Rappelant la finale d’un certain Lost in Translation,
la mécanique de My Dear Enemy fait de ses deux anciens
amoureux le même duo de personnages qui savent que le temps leur
est compté et que bientôt, lorsque l’argent sera
récupéré, ils n’auront plus aucune excuse
pour se tenir compagnie. Il ne reste plus qu’à en trouver.
S’arrêter devant un paysage, un feu rouge, une phrase à
double-sens, le romantisme renaît à partir d’un habile
jeu de chat et de souris entre l’homme soumis et oisif et la femme
autoritaire et possessive. Tous deux brillants, ils représentent
un certain idéal du couple contemporain qui, placé devant
des lieux mornes, contemple et force l’ancrage de la caméra
dans un lieu scénique où il est lui-même le sujet,
le centre forcé du cadre qui décrie le plaisir de se retrouver
avec l’autre. My Dear Enemy est hors de tout doute un
film sur le regard que l’un porte sur l’environnement qui
l’entoure et ce qui l’aura fait devenir, entre son départ
et ses retrouvailles, un être différent à la recherche
du définissant qui l’aura métamorphosé. On
parle d’un film de road trip, mais surtout un film d’après
road trip où chaque amant se retrouve autour d’une
bière en se disant « Et puis? Comment c’est passé
ta vie? »
« Elle s’est bien passée, je suis passé au
travers de dizaines de relations, toutes différentes, toutes
identiques, et j’ai finalement choisi de retourner avec la première
», répondraient Byeong-woon et Hee-su. Peut-être
que tout ce temps aura été perdu et tout comme les deux
auront gaspillé le temps de leurs retrouvailles à se perdre
dans un Séoul peu accueillant, My Dear Enemy prend la
forme d’une séance de psychiatrie pour couple en décrépitude.
Pour aller du silence aux réflexions, Lee utilise le groove d’une
musique en leitmotiv plaquée sur un panorama urbain rendant hommage
à la Manhattan de Woody Allen et aux couples thérapeutiques
du cinéaste américain. Plus loin encore, le film de Lee
Yoon-ki ne fait plus tant penser au road trip asiatique récemment
en vogue, mais plutôt à l’idée conceptuelle
du jeu vidéo. Sans trop de référents mis à
part les souvenirs qu’il évoque, My Dear Enemy
doit beaucoup à cette structure en étapes égales
sans trop de rebondissements et à la difficulté grandissante
(où, en vertu des conventions du récit cinématographique,
la narration fait des vagues de péripéties en péripéties).
Entre Hee-su et Byeong-woon, c’est plutôt les différentes
étapes de la reconstruction du couple qui y passent alors que,
rapidement, l’on prend conscience de la transparence des autres
personnages et leur apport au film. Tous unis pour nous raconter un
cycle qui s’ouvre sur une répétition (non sans rappeler
celle de Breathless de Yung Ik-june), les personnages meurent
et reviennent pour une deuxième chance, une deuxième vie.
Celle que le cinéma ne leur offre généralement
pas, mais celle que le jeu, et donc la logique humaine, tente de nous
fournir en alimentant victoires et défaites.
Version française : -
Version originale :
Meotjin haru
Scénario :
Park Eun-yeong
Distribution :
Jeon Do-yeon, Ha Jung-woo, Choi Il-hwa, Gi Ju-bong
Durée :
123 minutes
Origine :
Corée du Sud
Publiée le :
27 Juillet 2009