MUNICH (2005)
Steven Spielberg
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Il est impossible de faire d'un film tel que Munich une oeuvre
apolitique. Ce le serait en tout temps, ce l'est encore plus à
l'heure actuelle. Il était inévitable que la crise artistique
secouant depuis un certain temps Steven Spielberg le pousse un jour
à réaliser un film tel que celui-ci, sulfureux et grisâtre.
On est par ailleurs en droit de se demander s'il n'a pas choisi le mauvais
moment pour tenter cette expérience qui, de toute évidence,
dépasse ses habituels spectacles à grande échelle.
Le hasard, il faut bien l'avouer, n'a pas joué en sa faveur.
Son Munich sort en salles au moment même où l'état
de santé d'Ariel Sharon menace de saboter une fois de plus les
efforts de rapprochement entre Israël et la Palestine.
Mais au-delà d'une simple question de timing fâcheux, Munich
n'est pas l'oeuvre mature et éloquente que se devait de signer
un cinéaste de la stature de Spielberg en abordant un sujet si
délicat. Plutôt, Munich est une autre de ces oeuvres
confuses où le grand enfant d'Hollywood se cherche sans aboutir
à de réelles conclusions. Encore une fois, Spielberg signe
une oeuvre qui selon tous les standards sauf les siens évite
la confrontation réelle et tente de ménager et d'amadouer
tous les publics. Les tentatives d'avancer une opinion tangible sont
immédiatement désamorcées par une déclaration
contraire. Devant ce véritable buffet d'opinions, le spectateur
est libre de faire ce qu'il veut d'un film qui, pour sa part, manque
de courage. Malgré les bonnes intentions qui l'animent et que
Spielberg étale habilement en entrevues, Munich manque
sérieusement de colonne vertébrale. En fait, l'absence
d'un équilibre entre la pratique et l'idéal précipite
le film à sa perte.
Alors, un Spielberg vaincu par le défi retourne à ses
vieux tics de génial manipulateur de foules et livre avec dextérité
un spectacle musclé duquel il est impossible de nier l'efficacité.
Techniquement parlant, Munich est une splendide machine réglée
au quart de tour et au goût du jour pour plaire à un public
esthétiquement exigeant. L'infaillible Janusz Kaminski signe
un autre boulot impeccable à la direction photo, même s'il
abuse de toutes les modes actuelles. De la surabondance de surexpositions
calculées à cette inévitable caméra à
l'épaule qui détient, dit-on, le secret d'un certain réalisme
superficiel, Kaminski se permet tous les coups y compris celui de truffer
le film de ces zooms exagérés qui nous donnent l'impression
de regarder un film d'action des années 70.
Oui, Munich est un thriller rondement mené au niveau
viscéral. Mais se satisfaire de si peu alors que le film aspire
à tant, c'est se vautrer dans la médiocrité. S'il
n'a rien à affirmer clairement, Munich est inutile.
Ce ne sera qu'un baril d'huile jeté dans un incendie impitoyable
qui dure depuis trop longtemps. C'est malheureusement ce qui se produit.
Bien sûr, certains juifs violemment intégristes que tout
irrite s'insurgeront contre les compromis moraux qu'ose affirmer Spielberg.
Ils le traîneront dans la boue, l'accuseront d'être un ennemi
d'Israël et de coucher avec l'adversaire parce qu'il ose prendre
position au milieu. D'un autre côté, la vaste majorité
du public l'accusera de ne pas se mouiller assez durant les longues
deux heures cinquante que dure son film. Quelques scènes remarquables
parlent cette langue à la fois concrète et poétique
que peut arborer Spielberg lorsqu'il est inspiré. La scène
finale confrontant Eric Bana à Geoffrey Rush en est un bon exemple.
Cependant, ces instants de pensée réelle sont dilués
dans un bassin de scènes d'action enlevantes auxquelles s'accroche
une narration éparpillée. Munich paraît
avoir été trop vite fait compte tenu de ce qu'il impliquait
pour Spielberg. Détaché d'un contexte politique auquel
il rend difficilement justice, il s'agit d'un film d'espionnage habile
mais trop étalé. Dans ce maelström, une distribution
douée fait son possible pour étoffer des personnages parfois
trop minces. Mais de toute façon, Munich ne vaut rien
s'il n'est pas animé par un message claire. C'est à ce
moment crucial que, pour une fois, Spielberg le moraliste décide
de se taire. S'il glisse une ébauche de critique à l'égard
de l'attitude rancunière d'Israël et attaque timidement
par l'entremise de son histoire les agissements américains à
travers le monde, une bonne moitié de son film s'affaire à
diminuer et justifier l'inexcusable. Il devient dès lors difficile
d'y adhérer totalement. Comme son héros, le réalisateur
troublé ne saura jamais sur quel pied danser et reste hanté
par ce qu'il a vu.
En fait, Munich est une oeuvre inachevée mais prometteuse,
à la mécanique bien huilée mais au manque flagrant
de substance, qui voudrait désespérément dire quelque
chose sans jamais y arriver. En dernier recours, Spielberg décide
donc d'en mettre plein la vue en faisant couler plus de sang que jamais.
De quoi impressionner certains cinéphages en manque de sang qui
jugent la maturité d'une oeuvre à sa cruauté, mais
rien pour ajouter à un débat qui grouillait bien avant
que Spielberg ne décide d'y participer. Selon ses standards personnels,
Munich fait preuve d'une certaine vigueur intellectuelle. Mais même
le plus mollasson des films d'Amos Gitaï fait figure d'explosion
sauvage lorsque comparé à ce Munich où,
pourtant, tout éclate. Avec une subtilité saisissante,
Jean-Luc Godard était sorti de sa torpeur pour pondre une réflexion
similaire à celle que tente tant bien que mal de proposer l'Américain.
Perdu au royaume des adultes, le grand enfant qui a depuis longtemps
cessé de s'émerveiller - encore et toujours son plus grand
don - cherche une fois de plus une voix franche avec laquelle s'exprimer.
Munich est la continuation trouble mais insatisfaisante de
cette quête qui, espérons-le, ne sera pas interminable.
Version française :
Munich
Scénario :
Tony Kushner, Eric Roth
Distribution :
Eric Bana, Daniel Craig, Mathieu Kassovitz, Hanns
Zischler
Durée :
164 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
31 Janvier 2006