MOULIN ROUGE (2001)
Baz Luhrmann
Par Frédéric Rochefort-Allie
Il y a à Paris une énergie, quelque chose d'indescriptible
qui attire des gens de toutes sortes. Parmi les principaux attraits
touristiques, on trouve la tour Eiffel et le mythique Moulin Rouge.
Ce «moulin» réunissait autrefois deux mondes opposés,
soit les personnages les plus importants de la ville, au monde des prostituées.
Poètes, politiciens, musiciens, tous se retrouvaient en ce lieu
de dévergonde. C'est en 2001, avec le réalisateur Baz
Luhrmann, que la comédie musicale connut un renouveau considérable.
Celui qui nous avait offert une modernisation de Roméo +
Juliette, s'attaque ici à la comédie musicale mais
version medley anachronique. On en avait pas connu de telles depuis
au moins les années 50. Amateurs du french cancan techo ou non,
attachez vos ceintures!
Un jeune poète idéaliste (Ewan McGregor) se retrouve assez
rapidement dans la bande de Toulouse Lautrec (John Leguizamo) et s'éprend
d'une prostituée vedette du Moulin Rouge, Satine (Nicole Kidman).
Le problème est qu'ils sont prisonniers d'un spectacle monté
pour détourner l'attention que pourrait porter le Duc (Richard
Roxburgh) à leur idylle.
Avec une direction artistique admirable, on plonge dans un monde où
l'impressionnisme s'amalgame au rococo pour former un univers haletant
en soit, mais aussi extrêmement étourdissant et vibrant
de couleurs. Certains n'hésiteront pas à le qualifier
de vomit pour les yeux. C'est que contrairement à la majorité
des films, les décors et costumes sont au premier plan. Leur
extravagance n'est pas sans rappeler d'ailleurs les productions de Cecil
B.DeMille. L'univers visuel du film peut déplaire à certains,
mais il demeure extrêmement fidèle à l'image que
nous avons de ce fameux club et vaut à lui seul le détour.
Ne serait-ce que par curiosité.
Difficile de s'y retrouver chez le Moulin Rouge de Luhrmann.
Bien que fidèle à sa propre vision, le cinéaste
tente peut-être un peu trop d'épater la galerie. Profitant
du rayonnement des décors et des costumes, il nous offre une
réinterprétation du mythe d'Orphée sous des airs
de comédie slapstick. Le résultat s'avère être
efficace, quoique l'aspect humoristique valse entre le sérieux
et le parodique. Difficile d'y trouver un juste équilibre. Luhrmann
s'inspire des aspects qui ont fait de son Roméo + Juliette
un succès et les pousse à leur limite, sans doser. Ainsi,
même le drame tente d'avoir la portée d'un Sheakspeare,
mais l'intrigue est d'un prévisible flagrant. L'histoire nous
semble familière dès le départ. Peut-être
est-ce aussi de sa reprise de l'histoire d'Orphée, prisonnière
du monde des morts. Quoiqu'il en soit, si on exclue l'orgie visuelle,
on y trouve une histoire d'amour tout à fait typique du cinéma
hollywoodien. À ceci s'ajoute un abus criant de ralentis, qui
au total peuvent rivaliser avec certaines scènes de Matrix
Reloaded. On y trouve aussi des problèmes de continuité
à profusion. Bref, sous un contenant éclaté et
omniprésent, Luhrmann se permet bien des abus au niveau du contenu.
La musique de Moulin Rouge est instable en grande partie. D'une
part, on y trouve quelques belles chansons de David Bowie ou Rufus Wainwright
et quelques chansons fort intéressantes, mais d'autre part, la
majeure partie est un gigantesque medley de culture pop dont Baz Luhrmann
est le DJ. Du Nirvana qui rencontre Marilyn Monroe, un pot-pourri de
chansons d'amour chantées par Ewan McGregor et Nicole Kidman.
Luhrmann semble s'amuser à emprunter divers refrains dont les
chansons qui leurs sont propres ont toutes des significations différentes.
Bon d'accord, ça reste du jamais vu dans le domaine des comédies
musicales et Singin' In The Rain empruntait déjà
légèrement cette voie. Mais n'y a-t-il pas une plus grande
originalité à créer de vraies pièces musicales
dans un film du genre? On pourrait considérer ce gigantesque
remix comme une forme de paresse déguisée en innovation.
D'ailleurs seule une reprise fonctionne à merveille et il s'agit
du tango de Roxanne, la scène la plus mémorable
du film et dont la musique vient créer un gigantesque climax.
Les chanteurs de service, étant principalement acteurs, sont
surprenamment agréables à l'écoute. Qui aurait
cru qu'Ewan McGregor chantait? Qui aurait cru aussi que le même
acteur qui incarnait avec brio un junkie dans Trainspotting,
apparaitrait ici aussi fade. En se basant sur l'ensemble de la carrière
de l'acteur, on trouve que très peu d'intérêt à
le regarder jouer. Ni remarquable, ni médiocre, McGregor joue
juste mais sans véritable talent tangible. Sa partenaire Nicole
Kidman elle, étincelle. Bien sûr, son jeu est largement
surestimé, étant souvent caricatural. Mais l'actrice se
donne corps et âme dans ce rôle, démontrant diverses
compétences, ne serait-ce déjà comme acrobate.
Ce qui marque chez Kidman, c'est beaucoup plus sa présence sur
l'écran. Elle est indéniablement la star.
Décidément, Moulin Rouge demeurera ce qu'il offre:
un spectacle. Possédant sa dose d'imperfection, l'ensemble est
peut-être charmant, mais certes pas assez dosé pour être
aussi fort qu'il s'en prétend. Le kitsh poussé
à l'extrême et l'étrange mélange entre du
Beatles et du Witney Houston auront raison d'un certain détachement
face au film. C'est bien beau le spectacle, mais comme le dit si bien
l'expression: «trop c'est comme pas assez». Un film étourdissant,
disproportionné, cliché, mais qui reste à la base
un voyage vers un monde particulier. À vous de décider
si vous vous y lancez à pieds joints. Tout de même, le
film reste à l'image du moulin, un joyeux bordel.
Version française :
Moulin Rouge
Scénario :
Baz Luhrmann, Craig Pearce
Distribution :
Nicole Kidman, Ewan McGregor, John Leguizamo, Jim
Broadbent
Durée :
127 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
18 Août 2004