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MISTER LONELY (2007)
Harmony Korine

Par Nicolas Krief

Les apparitions d’Harmony Korine sont bien trop rares pour que votre humble serviteur manque cet objet à l’apparence très étrange qu’est Mister Lonely. Après s’être attaqué au Dogme (mouvement initié par Lars Von Trier dont font partie les films Les Idiots et Festen) avec Julien Donkey-Boy, le réalisateur récidive avec un film qui, selon les standards de l’artiste, est à grand déploiement. Le film a été tourné en France, en Écosse et au Panama avec une distribution comprenant quelques gros noms du cinéma mondial : Samantha Morton, Denis Lavant, Diego Luna et Werner Herzog. Harmony Korine signe, cette fois avec son frère Avi, un sixième scénario des plus mystérieux qui s’inscrit à la perfection dans la filmographie de l’auteur.

Mister Lonely est un imitateur de Michael Jackson qui pratique son art à Paris. Lors d’un spectacle dans une maison pour personnes âgées, il rencontre une Marylin Monroe. Celle-ci l’invite à venir dans l’endroit où elle et plusieurs autres sosies vivent en communauté. Michael se retrouve donc dans un château écossais entouré d’Abraham Lincoln, Madonna, Shirley Temple, Charlie Chaplin, James Dean, Samy Davis Jr., le Pape, la Reine d’Angleterre et quelques autres gens qui rêvent d’être quelqu’un d’autre. Ils vivent en harmonie, élevant des moutons et préparant un spectacle pour les gens du village qui se trouve a proximité du château. En parallèle à ce récit, à des centaines de kilomètres du château d’Écosse, en Amérique du Sud, une autre communauté, cette fois de nonnes, dirigée par un curé (Werner Herzog, particulièrement étrange), pratique le saut d’un avion sans parachute ; seule la foi en Dieu les aide à atterrir.

Harmony Korine sait filmer. Il filme avec virtuosité des images que personne n’a jamais tournées dans l’histoire du cinéma. Par exemple : le Président Lincoln, qui n’arrive pas à contrôler sa colère, sur un tracteur à gazon tournant autour de James Dean, qui essaie de dresser un mouton ; Charlie Chaplin jouant au ping-pong contre Michael Jackson ; le Pape Jean-Paul II, convaincu qu’il n’est pas mort, proposant un toast à des moutons ; une image stroboscopique d’Abraham Lincoln faisant tourner un ballon de basketball sur son doigt ; etc.. Ce concept suit ce qu’il a fait avec Gummo, il y a 11 ans, en présentant une simple suite d’images parfois choquantes, parfois déroutantes, mais toujours marquantes. Il a par contre décidé, dans son dernier film, d’ajouter un discours sur les images qu’il présente. Ses personnages incarnent des icônes des années 1980 et 1990, et en les plaçant dans diverses positions étranges et saugrenues, il semble vouloir démystifier ces monstres de la culture populaire. C’est dans cette optique que le film perd un peu de son cachet ; en cherchant à être original, abstrait et, à certains moments, absurde, Korine finit par s’y perdre, s’éloignant de son principal sujet: ces gens qui veulent être quelqu’un d’autre.

Le film démarre sur une excellente note. Le metteur en scène, avec sa signature bien singulière, semble vouloir se diriger vers un sujet des plus fascinants: la recherche de soi dans la peau de quelqu’un d’autre. Il s’éloigne malheureusement de cette piste lorsque la troupe de personnages est réunie, et que le film devient une sorte d’opéra tragi-comique dans lequel certaines scènes n’ont simplement pas leur place. Son discours s’en trouve affecté, mais certainement pas son envie de créer des émotions inhabituelles chez son spectateur. En effet, le cinéma de Korine se distingue par l’expérience sensorielle qu’il propose. Les images de Mister Lonely sont très déroutantes et provoquent des moments d’une rare intensité dans le cerveau du cinéphile debout depuis une ou deux heures. On en sort stimulé et très satisfait. Ces sensations inusitées surviennent principalement lors des séquences des sœurs volantes: on y observe d’étranges visions, où Harmony Korine joue avec les symboles de manière unique et impressionnante. Le tout est agrémenté du jeu insolite de Werner Herzog et se conclue sur l'une des images les plus puissantes du cinéma à caractère abstrait.

En gros, Mister Lonely surprend. Harmony Korine n’a pas son égal pour créer des univers carrément déconnectés, mais très humains. C’est un film qui ne fera évidemment pas l’unanimité, mais qui charmera les plus endurcis des adeptes du cinéma du jeune auteur par son étrangeté. Mais cette caractéristique est aussi le plus gros défaut du long-métrage, car c’est dans son étrangeté qu’il s’égare. Il retrouve par contre son chemin dans l’histoire qu’il expose en parallèle à son récit principal, dans des séquences magnifiques et fascinantes. Il profite d’une distribution hors paire, dominée par un Denis Lavant/Charlie Chaplin déconcertant, ainsi qu’un Diego Luna/Michael Jackson fort à l’aise, dans un rôle bien plus intéressant que celui qu'il tenait dans Dirty Dancing 2.




Version française : -
Scénario : Avi Korine, Harmony Korine
Distribution : Diego Luna, Samantha Morton, Denis Lavant, Werner Herzog
Durée : 112 minutes
Origine : Royaume-Uni, France, Irlande, États-Unis

Publiée le : 18 Juillet 2008