MINORITY REPORT (2002)
Steven Spielberg
Par Frédéric Rochefort-Allie
Imaginez vous un monde où on vous accuse d'un crime avant même
de l'avoir commis. Sans détenir de preuves concrètes,
des agents vous mettent sous verrous en toute légalité,
se basant sur des prémonitions. On détruit votre vie,
votre monde, le tout au nom du bien de la société. Vous
êtes une menace. Bien que le contexte soit on ne peut plus actuel,
Minority Report se déroule 56 ans après la chute
des deux tours du World Trade Center. On pourrait décrire le
film de Steven Spielberg comme étant une forme de prémonition,
puisque le film débuta sa production avant la chasse aux sorcières
présentement enclenchée au niveau mondial.
John Anderton (Tom Cruise) est un policier qui traque les criminels...avant
même qu'ils aient commis un crime. À l'aide des Précogs,
trois médiums, il arrive à protéger la société
du mal. Malheureusement, un jour cette même technique se retournera
contre lui alors qu'il apprendra qu'il est destiné à tuer
quelqu'un d'ici peu.
Bien qu'il en conserve son titre original, qu'on mentionne l'auteur
de la nouvelle originelle au générique, il ne reste que
très peu de vestiges de Phillip K. Dick dans ce scénario
hollywoodien. Il aurait été surprenant en fait que Steven
Spielberg décide de réaliser un film tout à fait
fidèle à l'oeuvre de l'auteur. Ne nous le cachons pas,
Steven Spielberg est avant tout un réalisateur on ne peut plus
ancré dans la culture du cinéma américain qui mise
à prime abord sur le divertissement. Phillip K. Dick quand à
lui était un auteur qui proposait un regard critique sur l'univers
qui l'entourait. La rencontre entre ces deux personnages par l'entremise
du scénario est à elle seule un élément
de science-fiction. Le scénario de Scott Frank, faisant le pont
entre les deux, tire bien plusieurs éléments typiques
de l'univers de Phillip K. Dick pour créer un univers logique
dans son futurisme. Si cet aspect est certainement un ajout divertissant
par rapport à l'intrigue, il n'en tire que très peu de
critiques substantielles. En fait, même les personnages ne sont
que passablement développés. Par exemple, la relation
quasi paternelle entre les personnages incarnés par Max Von Sydow
et Tom Cruise n'est certainement pas assez soulignée pour que
le spectateur puisse y porter attention. En fait, Spielberg et son scénariste
ont préféré porter plus d'attention aux problème
de couples de John Anderton, divorcé de son épouse. Ce
n'est pas un secret d'état qu'il s'agit ici du principal thème
récurant qui compose une bonne part des projets de Spielberg.
On salue donc l'originalité.
En tant que réalisateur, Spielberg se divise sur deux niveaux:
le Peter Pan qui cherche à vivre des aventures rocambolesques
dans un monde quasi utopique (Hook, E.T., Indiana
Jones, etc) et le créateur plus expérimental et sombre
(Duel, Firelight, Schindler's List). Minority
Report se situe entre les deux. Steven Spielberg retrouve son regard
d'enfant lorsqu'il s'agit d'action, on le sent émerveillé
par son univers, comme un enfant qui s'amuse avec des figurines. La
réalisation donne lieux à des scènes d'actions
pour la plupart efficaces bien que peu rafraichissantes. Cependant,
là n'est pas le principal intérêt, contrairement
à ce que le réalisateur tente de nous faire croire. Ayant
travaillé avec Kubrick sur AI, Spielberg a eu l'occasion
de ressusciter le créateur qu'il était. Minority Report
devient une occasion pour explorer de nouveaux territoires, de s'aventurer
dans un univers beaucoup plus lugubre qui s'apparente au film noir.
L'introduction, mettant en scène un évènement plutôt
dérangeant, convainc le spectateur que nous sommes bien loin
du temps de «ET phone home...».
Janusz Kaminski, le directeur photo de Schindler's List, est
en grande partie responsable de la qualité esthétique
qui entoure Minority Report. Il arrive parfaitement à
adapter son style en fonction de l'ambiance. Dans cette oeuvre, le fort
contraste au niveau de l'éclairage ainsi que les différentes
teintes bleues créent un ton austère et désinvitant,
bref probablement l'élément le plus fidèle à
Phillip K. Dick. Quel génie! Visuellement, Minority Report
est une réussite totale.
Bien entendu, personne n'échappe à Tom Cruise. Pas même
les performances plutôt intéressantes des acteurs secondaires
qui ont peine à trouver de l'espace entre les mimiques habituelles
de l'acteur. Fléau ou superstar? Dans ce cas-ci, les termes sont
des synonymes. À l'écran, ce n'est pas John Anderton que
nous percevons mais bien Tom Cruise. Tom Cruise le cascadeur, Tom Cruise
le fugitif, Tom Cruise le parleur, Tom Cruise, Tom Cruise, Tom Cruise.
Le personnage perd donc toute crédibilité quand vient
le temps de s'associer à ce personnage, d'y croire, car ce n'est
pas un homme qui se trouve devant nous mais une icône de la culture
hollywoodienne. Tom Cruise simule bien ses émotions, il joue
même relativement mieux que dans plusieurs de ses films, mais
l'âme ne prend pas. John Anderton n'existe pas. Minority Report
aura permis à Colin Farrell de faire sa marque au cinéma
par une performance notable bien qu'elle compose avec un personnage
peu étoffé.
Minority Report se résume en une expérience visuelle
sous une couche de divertissements en normes. Les spectateurs auraient
étés en droit de s'attendre à une oeuvre beaucoup
plus complexe et provocatrice, mais quand Spielberg entre en matière
de divertissement, le résultat est fort souvent léger.
Dommage pour ce qui aurait pu devenir le prochain Blade Runner.
Version française :
Rapport minoritaire
Scénario :
Scott Frank, Philip K. Dick (nouvelle)
Distribution :
Tom Cruise, Colin Farrell, Samantha Morton, Max
von Sydow
Durée :
145 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
17 Octobre 2004