THE MIDNIGHT MEAT TRAIN (2008)
Ryûhei Kitamura
Par Mathieu Li-Goyette
Depuis plus de 25 ans, l’auteur du Book of Blood (1984-85)
en six tome puis créateur du culte Hellraiser, Clive
Barker, a acquis la réputation d’être la réunion
perverse entre Wes Craven et Stephen King. Esprit prolifique où
chaque nouvelle oeuvre semble être l’occasion d’aller
à la recherche de nouvelles peurs plus primitives, peurs qui
ne peuvent rôder en silence que dans l’esprit des plus téméraires…
et pour cause. À l’autre bout du monde, c’est Ryûhei
Kitamura (à qui l’on doit le singulier Versus
et le sadique Izumi) qui vient de débarquer en Amérique
pour y tourner son premier film hollywoodien. Horreur au sens radical
par excellence, The Midnight Meat Train vogue à un train
d’enfer dans une succession d’intrigues, de violences brutales
et de personnages captivants tous possédés par une volonté
sans relâche à repousser leur destin; ce qui se dégage
de ce train de viande est ultime, critique, prêt pour l’abattoir;
c’est la collision espérée entre l'horreur japonais
du nouveau millénaire et le golden age de la frayeur
américaine d’autrefois. Le statut de film culte, bien qu’il
ne soit décernable qu’à travers les générations,
ne s’est pourtant pas vu depuis bien longtemps si convenable que
dans cet affrontement final baignant dans le sang et les carcasses.
En chantier depuis une dizaine d’années, la nouvelle «
inadaptable » du romancier répond finalement aux attentes
dépravées d’un auditoire en manque d’effusions
calculées et de suspense honnête. Ici, l’artifice
n’est plus un facteur d’efficacité. Et il est encore
moins une parade pour l’absence de fond qui supporterait cette
boucherie sans précédent.
Après une courte visite guidée du train de minuit et de
son mystérieux tueur baraqué, Kitamura nous présente
Léon à travers l’objectif de son appareil photo
35mm. Cliché du spectateur le temps d’un instant, il nous
adresse le regard d’une future victime; narrateur de sa descente
aux enfers, le portrait du jeune photographe s’amorce. Léon
vit avec sa copine Maya dans un appartement respectable de New York,
ville des premiers métros. Après s’être fait
conseiller de capturer la ville sur le vif, sous l’instant d’une
révélation et non d’un arrangement de cadrage minutieux,
l’artiste aspirant à vivre de son art parcourt les ruelles
et les tunnels à la recherche de la photo de l’heure, d’une
révolution du réalisme. Déchiré entre le
désir de pousser plus loin les limites du tabous et de la pudeur,
tout devient permit pour accéder au cercle sélect de sa
mécène, sorte de Mme. Guggenheim qui déclenchera
l’inhibition de Léon à repousser ses contraintes.
Végétarien, romantique et astucieux, l’artiste urbanisé
exemplaire qu’il est se voit rapidement acculé au pied
du mur par les questions du droit de reproduction du réel d’un
créateur (jusqu’où l’art n'offre pas une représentation
irrespectueuse des sujets?). Poussé à abandonner son travail
lorsqu’il lui vient à l’idée qu’il n’y
mettrait d’ardeur que pour le privilège de son statut et
un rêve de fortune, l’identité même de la figure
artistique est remise en cause par le cliché d’une jeune
femme menacée au couteau puis rapportée disparue le lendemain.
Si The Midnight Meat Train échappe si bien aux contraintes
habituelles, c’est parce qu’il se permet de nous démontrer
autant la minutie de son héros à graver les échelons
du monde artistique (et de la prise de conscience) que la minutie de
son assassin à préparer un par un le corps de ses victimes.
Ce n’est plus un combat en suspend, mais bien un combat débutant
à coup de préliminaires où chacun aura maintes
occasions d’étudier le profil de son prochain. Intrusions
dans la boucherie industrielle de l’ennemi, découverte
de la femme du photographe, espionnage au jour le jour à travers
des clichés effrayants de ce monstre de fer à découvert,
chacun vogue à ses occupations peut-être aussi malsaines
que complémentaires dans la compétition. Sans être
sans faille, l’adversaire sans nom confrontera Léon sur
le train de minuit final. Couteaux et crochets de boucher sont au rendez-vous
dans un moment d’une rare sauvagerie, mais d'une sauvagerie toutefois
toujours calculée. Il en est ainsi puisque Kitamura s’efforce
de ne pas découper ses scènes et de retourner aux premières
amours de l’horreur en y allant de plans statiques, des angles
subjectifs ingénieux et plusieurs mises en scènes à
vol d’oiseaux nous montrant ses marionnettes enragées du
point de vue de leur enfant terrible «jouant à la violence».
Sans s’y arrêter, Kitamura juge même bon d’aller
d’un excès des réflexions (miroirs, couteaux, sang,
œil) dans des mécanismes où l’on reste à
croire qu’ils sont échos au questionnement de la capture
du réel de la première partie.
The Midnight Meat Train se dote aussi des bonnes qualités
du genre. S'accaparant de très peu de personnages, Kitamura préfère
de loin les décortiquer. Maya (copine de Léon), par exemple,
n’est plus tant un faire-valoir qu’un tiers engrenage du
récit, souhaitant indépendamment découvrir le mystère
pour sauver le bon sens de son petit ami. Ses intentions et leur relation
donnent lieu à des dialogues faisant preuve d’un scénario
bien supérieur à la moyenne demandée pour sa cause
où l’abord des thèmes de conspiration, du plaisir
d’être artiste, du voyeurisme font des héros des
protagonistes plausibles, contrairement aux habituels bouts de viande
criards sur deux pattes: dans la gamme des micro-groupes plausibles
des dernières années, l'exemple de Descent revient
alors à l'esprit. La force motrice de The Midnight Meat Train
se calcule par la profondeur des gens à travers qui le récit
nous est transmis, d’où son étonnante crédibilité
qui ne rend le massacre que plus oppressant. Malgré un abandon
décevant des thème vers la fin de l'oeuvre, le train de
minuit garde son cap et reste fidèle à la nouvelle originale
de Barker dans les grandes lignes du terme; les créateurs s’étant
dit que d’adapter une nouvelle au cinéma devait requérir
un étirement judicieux des quelques pages originales. Étirement
conçu pour le médium dans lequel il se fait objet (photographie,
cinéma et leurs représentations), le dernier film de Kitamura
décolle vraisemblablement de la marrée immense et boueuse
de son genre. Ce n’est plus tant la peur des soubresauts que celle
d’une violence sauvage et inhumaine confrontée à
son plus lointain opposé de la chaîne alimentaire : un
photographe artiste typé et végétarien. Cet écart,
bien plus douloureux que n’importe quel tueur au masque, hante
l’esprit étant la preuve tangible d’une remise à
niveau des standards de la frayeur et de nos conceptions d’invulnérabilité
face à l’ignoré. Dès les premiers meurtres
où la caméra se fait tête une fois pour percevoir
le corps décapité dont elle faisait partie, l’idée
d’être face à des codes bornés du genre se
retire au profit d’une nouveauté de grande qualité;
d’une qualité bourguignonne et bien sanguinolente.
Version française : -
Scénario :
Jeff Buhler, Clive Barker (nouvelle)
Distribution :
Bradley Cooper, Leslie Bibb, Brooke Shields, Vinnie
Jones
Durée :
98 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
30 Janvier 2009