METROPOLIS (1927)
Fritz Lang
Par Frédéric Rochefort-Allie
Bien avant que Néo ne se batte dans un monde (un peu trop) virtuel,
bien avant que Luke ne découvre la force, que Deckard ne mène
son enquête, s'éclôt Metropolis, le bourgeon
de la science-fiction. Sorti en 1927, il fut l'objet de l'un des crimes
les plus odieux que l'on puisse commettre envers un film, la censure.
Après de nombreux montages de toutes sortes (passant même
par une trame sonore techno), Kino nous offrit la version restaurée,
plus près que jamais de son original...mais incomplète
au grand regret de plusieurs cinéphiles. Projeté dans
très peu de villes au Canada, Metropolis fut une véritable
révélation. Enfin, ce chef-d'oeuvre déjà
tant acclamé pourrait, pour une fois, se rapprocher de sa splendeur
originale. L'attente fut longue, mais les cinéphiles en sont
encore ravis.
C'est dans un jardin d'éden que tout débute. Un jeune
homme nommé Freder (Gustav Fröhlich) vivant dans la gloire
et le luxe, rencontre par pur hasard une femme appartenant à
un tout autre univers, celui des sous-terrains des ouvriers. C'est Maria
(Brigitte Helm), la porte-parole des prolétaires. Le haut et
le bas se craignent et la situation devient explosive alors qu'un inventeur
cachant une jalousie maladive (Rudolf Klein-Rogge) crée, sous
les ordres du maitre de la ville, un robot qui remplacera les ouvriers.
Trouveront-ils l'élu qui saura résoudre ce problème?
Né de l'imaginaire de Fritz Lang et son épouse Thea von
Harbou lors d'un voyage à New-York, le monde de Metropolis
nous est bien familier car il reflète la culture occidentale
et la modernité. L'univers diégétique n'a donc
pas pris une seule ride, ce qui est étonnant pour un film de
plus de 77 ans. Peut-être semble-t-il familier aussi par ses rapprochements
inévitables aux oeuvres de science-fiction des dernières
années qui s'inspirent largement de ce chef-d'oeuvre pour en
tirer des «idées originales». Car non, détrompez-vous,
Lucas et les frères Wachowski n'ont pas inventé le cinéma.
Nous nous retrouvons donc dans une ville un peu moins froide que le
château de Nosferatu et un peu moins abstraite que Le Cabinet
du Docteur Calligari, mais qui tout même réussi admirablement
à tirer toutes les forces du courant de l'expressionnisme allemand.
À commencer par une histoire extrêmement puissante qui,
malgré les quelques références plutôt évidentes
aux livres de Victor Hugo et Mary Shelley, permet de grandes réflexions
sociales tant sur l'industrialisme que sur le communisme.
Quand les mots n'existent pas, la présence d'un acteur n'est
plus qu'un simple atout mais une nécessité! Bien sur,
le jeu est exagéré, voire théâtral, mais
il n'existe aucun autre moyen de refléter ce qu'un personnage
ressent. Le muet est un autre univers qui existe au-delà des
dialogues. Brigitte Helm livre son âme dans Metropolis,
jouant avec brio deux personnages carrément aux antipodes l'un
de l'autre. Une facette terrifie par la froideur et le mal qu'elle porte
en elle. Rudolf Klein-Rogge se démarque aussi avec une interprétation
magistrale d'un personnage tout à fait typique du genre, le scientifique
fou. Bien sûr, si vous n'avez jamais vu la version restaurée,
quelques réactions face aux situations que vit le personnage
peuvent paraitre légèrement étranges, autrement
il demeure l'un des personnages les plus sinistres de l'histoire du
cinéma.
Qu'arrive-t-il lorsqu'un film n'a aucun son? On y perd bien vite notre
intérêt, pas vrai? Il serait étrange de croire que
parce qu'aucun dialogue n'a lieu, qu'aucun son ne voyage. Car la musique,
dans sa version restaurée bien évidemment, permet au spectateur
de tisser un lien profond avec les images. Ce ne sont pas les intertitres
qui vous transporteront, mais bien la trame sonore. C'est pour cette
raison que Metropolis reste universel. Chaque thème
musical transmet une quantité innombrable d'informations sur
les personnages et l'univers dans lequel ils se trouvent. La musique
est le médium émotif.
Metropolis est un chef-d'oeuvre de l'histoire de l'art, au
même titre que La Joconde de Da Vinci, que La persistance
de la mémoire de Dali ou Le Penseur de Rodin. Une oeuvre
éternelle qui ne cessera jamais de communiquer ses messages humains
à la société moderne. Son influence sur l'ensemble
de l'histoire du cinéma est indéniable et sa qualité
est difficilement égalable. Si plusieurs films ont trouvé
un honneur à lui soutirer certaines de ses idées afin
de créer d'autres grandes oeuvres comme Star Wars, Dark
City et Blade Runner par exemple, Metropolis
demeure le pilier de son genre et un modèle en matière
de cinema. Littéralement grandiose!
Version française : -
Scénario :
Fritz Lang, Thea von Harbou
Distribution :
Alfred Abel, Gustav Fröhlich, Brigitte Helm,
Rudolf Klein-Rogge
Durée :
123 minutes
Origine :
Allemagne
Publiée le :
17 Octobre 2004