MELVIN GOES TO DINNER (2003)
Bob Odenkirk
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le film de conversations est un genre privilégié du cinéma
indépendant américain tel que promu de façon presque
dogmatique par le tout-puissant festival de Sundance. Au cours des deux
dernières décennies, le réalisateur Richard Linklater
s'est imposé comme le maître du genre avec des films tels
que Before Sunrise et Before Sunset, dans une veine
plus éclatée avec ses admirables Slacker et Waking
Life ou même grâce à l'excellent huis clos Tape.
Dans une autre veine plus ''bédéesque'', les dialogues
foisonnants de Kevin Smith semblent avoir trouvé preneur chez
une nouvelle génération de scénaristes américains
tentant de reproduire le flot effréné et la vulgarité
ingénieuse des textes de l'auteur de Clerks. Le film
de conversations, souvent filmé à la va-vite en format
vidéo, est devenu une norme convenue du cinéma indépendant
américain. En règle générale, il met en
vedette de jeunes professionnels aussi incertains qu'intelligents et
en pleine crise existentielle.
Melvin Goes to Dinner se fond tellement bien dans ce moule
de la petite comédie sympathique et vaguement philosophique que
l'on ne peut que l'oublier instantanément. Bien plus qu'un simple
film, il s'agit d'une pièce de théâtre filmée
dont la facture télévisuelle ennuyeuse ne dessert en rien
le propos. Monté sans imagination à la manière
d'une sitcom, le film de Bob Odenkirk compte essentiellement sur ses
personnages pour capter notre attention. En théorie, l'exercice
n'est pas sans intérêt. On pourrait parler d'un style intimiste
réactionnaire qui s'impose comme l'alternative logique aux explosions
en chaîne du cinéma commercial d'Hollywood. Sauf que les
personnages de Melvin Goes to Dinner n'ont rien de très
pertinent à partager. Ils enchaînent les sujets triviaux
et étalent leurs angoisses existentielles sans transcender la
banalité.
En fin de compte, il n'y a que les quatre protagonistes de Melvin
Goes to Dinner qui tirent des bénéfices de cette
conversation cathartique. Le spectateur, laissé en marge au cours
de cet échange interminable, assiste impuissant et inutile à
une tirade verbeuse dont le niveau ne dépasse pas celui de ses
propres conversations. Vous voulez vivre Melvin Goes to Dinner?
Achetez quelques bouteilles de vin et rencontrez quelques amis autour
d'un bon souper. Le film d'Odenkirk, créateur de la populaire
série Mr. Show, embrasse tellement bien l'ordinaire,
le quotidien et le commun... que l'on se demande bien quel en est l'intérêt
réel. Peut-être les universitaires parleront-ils dans vingt
ans d'un vaillant courant réaliste américain qui tentait
d'approcher avec le plus de réalisme possible les états
d'âme d'une certaine bourgeoisie américaine blasée
et incertaine.
D'accord, la sincérité de cette petite comédie
dramatique à saveur de malaise existentiel n'est pas sans valeur.
On pourrait souligner la "belle authenticité" de l'ensemble
et vanter la "remarquable simplicité volontaire" du
traitement proposé par Odenkirk. Mais en fin de compte, il n'y
a que d'amusantes apparitions de Jack Black, dans le rôle hilarant
d'un schizophrène se croyant l'employeur de Dieu, et de l'humoriste
David Cross pour détourner notre attention de notre montre quelques
minutes. La distribution, dans son ensemble, n'est pas particulièrement
éclatante.
La surcharge de points de vue divergents proposée dans des films
kaléidoscopes tels que Slacker et Waking Life
a le mérite de présenter, de manière foncièrement
cinématographique, l'abondance et l'accessibilité instantanée
à une infinité de positions philosophiques, spirituelles
et morales qui s'offre au penseur moderne. Pour sa part, Melvin
Goes to Dinner parle d'infidélité, de sexe et de
fantômes avec une relative étroitesse d'esprit. Cette absence
de perspective et ce nombrilisme assommant sont symptomatiques d'une
certaine tendance du cinéma américain. Quoi qu'il en soit,
la glorification de ce cinéma télévisuel et bavard
risque à long terme d'étouffer un cinéma indépendant
pourtant vif et prometteur lorsqu'émancipé des dogmes
de Sundance.
Version française : -
Scénario :
Michael Blieden
Distribution :
Michael Blieden, Stephanie Courtney, Matt Price,
Annabelle Gurwitch
Durée :
83 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
17 Février 2006