ME AND YOU AND EVERYONE WE KNOW (2005)
Miranda July
Par Daviel Lazure Vieira
Ce fut l’une des plus heureuses surprises de l’an dernier,
révélée à Sundance et couronnée à
Cannes par la Caméra d’Or, récompensant la meilleure
première œuvre cinématographique ; Miranda July est
arrivée là où on ne l’attendait pas, avec
Me And You And Everyone We Know, une comédie douce et
amère sur la société et la place de l’amour
dans nos obsessions quotidiennes.
Dès les premières images, on reconnaît l’influence
de ces grands réalisateurs indépendants américains
qui, loin de s’adonner à une culture du cinéma populaire
de masse, préfèrent pondre des œuvres singulières,
très différentes de ce que l’on a l’habitude
de trouver à Hollywood ; Jonathan Caouette l’a prouvé
avec Tarnation, Zach Braff avec Garden State, David
O. Russell avec I Heart Huckabees. Chacun à leur manière,
ces jeunes nouveaux talents semblent avoir subi un traitement par les
films de Jim Jarmusch ou de Gus Van Sant, puisqu’autant dans la
mise en scène que dans la simplicité des dialogues, ou
le jeu naturel et détaché des acteurs, le nouveau cinéma
américain indépendant est atypique, accessible et éloigné
des conventions et des lourdes machineries visuelles à la Peter
Jackson, plus près de Monsieur-et-Madame-Tout-le-Monde. Peut-être
est-ce l’une des raisons de la réussite de Me and you
and everyone we know, tant auprès de la critique que du
public?
Christine est une jeune artiste qui tente désespérément
de réussir ses projets loufoques, pas toujours très cohérents,
et veut à tout prix faire partie d’une exposition dans
le musée de sa petite ville. Elle reconduit aussi des personnes
âgées en les accompagnant dans leurs déplacements.
Richard vend des souliers dans un petit magasin, il vient de se séparer
et d’emménager ailleurs, avec ses deux jeunes enfants,
accros au Net et aux clavardages pornographiques. Par un heureux hasard,
les deux se rencontreront dans la boutique de Richard, autour d’une
discussion sur la douleur d’un talon d’Achille, une sorte
de Cendrillon sous l’acide, le prince charmant tendant
la mystérieuse chaussure manquante à la belle. Si le film
manque parfois de cohérence, il y a toutefois un charme unique
qui émane de l’interprétation de Miranda July et
de la palette d’acteurs composant Me And You And Everyone
We Know; des silences nécessaires, empreints d’une
certaine fragilité, une simplicité déconcertante
des lieux, de la photographie. Et certains moments purement magiques
; cette première scène ouvrant le générique
où Richard tente de se brûler la main, la caméra
le filmant à l’extérieur, étendu sur le gazon,
de manière si distante, si froide, si clinique, mais qui devient
peu à peu presque touchante, aimante même. Ou encore, ce
poisson rouge abandonné sur le toit d’une voiture, que
Christine et l’une des personnes âgées qu’elle
transportait tentent de sauver, à l’aide de manœuvres
routières pas tout à fait des plus sécuritaires…
Me And You and Everyone We Know nous donne sans cesse cette
impression d’être constamment en dehors du sujet, d’assister
aux actions avec détachement, de façon externe. Parfois
cela nuit au propos, et malheureusement, pousse le spectateur à
se questionner toujours par rapport aux intentions de July ; la conclusion
nous laisse d’ailleurs un peu sur notre faim, et l’on est
en droit de se poser quelques questions quant à la légitimité
de certaines scènes.
S’interrogeant également sur une époque où
le sexe devient de plus en plus accessible et sans valeur, Me And
You And Everyone We Know met en parallèle deux visions complètement
opposées de l’amour; celui purement physique, et celui,
plus étrange et certainement plus complexe, basé sur l’émotion,
la sensibilité. Les multiples clins d’œil de la réalisatrice
à la jeunesse et aux personnages d’enfants cadrant difficilement
dans nos vies modernes où la solitude est devenue un syndrome
identitaire, devant apprendre à vivre par l’intermédiaire
d’écrans et d’expériences figées des
clichés de la performance et du succès, vient approfondir
la réflexion d’un film qui peut sembler superficiel en
apparence, mais dont les trésors et l’inventivité
s’avèrent rafraîchissants.
Version française : Moi, toi et tous les autres
Scénario : Miranda July
Distribution : John Hawkes, Miranda July, Miles Thompson, Brandon
Ratcliff
Durée : 91 minutes
Origine : États-Unis, Royaume-Uni
Publiée le : 29 Janvier 2006
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