THE MATRIX (1999)
Andy Wachowski
Larry Wachowski
Par Jean-François Vandeuren
Revenons au début de l’année 1999. Outre la sortie
tant anticipée de l’épisode aux mille produits dérivés
de George Lucas, ce que l’on retient est l’effet d’une
bombe que la sortie du film The Matrix a provoquée sur
la culture populaire. Pendant un bon moment, on ne pouvait tout simplement
pas passer à côté de ce film sorti de nul part qui
fut pourtant acclamé rapidement comme un véritable film
culte en devenir, ce qu’il devint d’ailleurs. Mais une fois
l’engouement et les étincelles retombés, on s’est
vite rendu compte comme c’est bien souvent le cas lorsqu’on
en met trop sur les épaules d’un seul film (voir Titanic)
qu’on avait peut-être donné un peu trop de crédit
aux frères Wachowski pour cette soi-disant révolution.
Les troupes se retrouvèrent alors divisées en deux camps,
soit les adorateurs fanatiques imperturbables et ceux dénonçant
l'opus comme un vulgaire plagiat. Mais encore là, il ne faut
pas s’y méprendre, les deux frangins ont peut-être
usé de beaucoup de sources comme inspiration, bien des honneurs
leurs reviennent néanmoins dans l’élaboration de
ce phénomène qui se tient tout de même assez loin
du carbone.
Soit, avant le film d’action, The Matrix propose au départ
une problématique. Qu’adviendrait-il du jour où
vous découvririez que la totalité de votre existence dans
ses moindres détails, de votre carrière professionnelle
jusqu’au gout de votre plat favori, n’est qu’un horrible
mensonge et que le but de votre vie sur cette planète n’est
que d’être une batterie d’un système mécanique
qui a surpassé la race humaine? On vous mentionne toutefois qu’il
y a un espoir. La prophétie annonce la venue d’un élu
qui rétablirait un juste équilibre et sortirait l’humanité
de son trou. Qui plus est, cet être unique est peut-être
vous. Quel choix allez-vous faire? Rester prisonnier d’une illusion
qui n’en demeure pas pour le moins apaisante? Ou allez-vous tenter
de faire la part des choses en vous confrontant à ce qu’il
reste réellement du monde? La pilule bleu ou la rouge, Neo?
Au départ, l’idée de la recherche d’un être
choisi, du dernier espoir, ou du médiateur n’est pas une
trouvaille significative. Si l’on pense avant tout à Star
Wars, le registre de la science-fiction dans lequel vient s’inscrire
le film d’Andy et Larry Wachowski fait plutôt référence
à des chef-d’œuvres comme le Metropolis de
Fritz Lang ou à des films demeurés plus obscurs tel Dark
City par exemple. Le film explore également une thématique
sociale émanant d’une préoccupation de certains
ne voyant plus de sens en le monde qu’ils doivent servir et qui
fut assez présente au cinéma à la fin des années
90, dépeignant la volonté d’un regain de contrôle
sur une existence souvent orchestrée dans la même lignée
que les choix imposées par le monde extérieur. D’autre
part, la dynamique de The Matrix emprunte aussi beaucoup à
celle de l’animation japonaise. Mais attention, il ne faut pas
non plus s’imaginer que toutes ces sources d’approvisionnement
de l’imaginaire ne sont qu’un vulgaire défaut. À
bien des égards, le tout se révèle comme une force.
Si le présent film est doté d’une approche beaucoup
plus grand public que ses prédécesseurs, le mélange
astucieux arborant la forme esthétique de plusieurs époques,
partant d’une architecture émanant des premiers films de
détective nous amenant ensuite jusqu’à l’allure
délabrée d’un futur apocalyptique viennent témoigner
du soin avec lequel les deux cinéastes ont su utiliser ces diverses
idées.
Une autre force de l’opus s’avère être celle
de la transition entre les scènes hautes en adrénaline
et la volonté de traiter l’univers du film le plus humblement
possible. Une scène comme celle de l’Oracle par exemple,
qui aurait pu donné lieu à de faux effets de grandeur,
est à l’opposée développée avec une
étonnante modestie. Sur une note esthétique, le film demeure
d’ailleurs assez soigné. Le mélange énoncé
plus haut vient fortement contribué à l’approche
visuelle des deux réalisateurs, et ce surtout au niveau de la
photographie qui vient faire bon usage d’une composition prise
entre deux époques. Impossible également de ne pas parler
du désormais célèbre effet bullet-time.
Ce concept créé de toutes pièces par le brillant
réalisateur français Michel Gondry pour le vidéo-clip
de la chanson Like a Rolling Stone du groupe rock mythique
The Rolling Stones fut ici repris par les frère Wachowski où
ces derniers entrent en ligne de compte dans la manière dont
ils y ont incorporé la fluidité d’une série
de mouvements.
Comme l’action et le kung-fu occupent également une place
dominante dans le récit, les deux frangins se sont bien évidemment
entouré d’une équipe de choix pour s’assurer
que le résultat soit explosif. Ce groupe compte d’ailleurs
parmi ses membres le légendaire chorégraphe du cinéma
de Hong Kong Yuen Woo-ping, à qui l’ont doit notamment
l’élaboration des scènes de combats de productions
telles Kill Bill et Crouching Tiger, Hidden Dragon
pour ne nommer que celles-là. Le film sait toutefois allier un
dosage surprenant et bien géré entre les scènes
d’arts martiaux et de fusillades et la teneur philosophique du
scénario surtout associée à l’allégorie
de la caverne de Platon.
Il ne fait aucun doute que la valeur de production de The Matrix
est absolument immense. La minutieuse préparation derrière
chaque élément de ce film vaut sa part de louanges. Cependant,
la matière même de l’essai ne s’éloigne
malheureusement pas assez de ce qui s’est fait dans le passé
dans ce domaine pour que l’on puisse considérer l’œuvre
des frères Wachowski comme l’élu du genre. La tentative
de ces derniers de recréer la dynamique d’un animé
tout en délivrant leur discours d’une manière sophistiquée
est néanmoins une mission accomplie. Il n’aurait fallu
qu’un simple «The End» à la toute
fin du présent film pour terminer cette histoire en beauté.
Version française :
La Matrice
Scénario :
Andy Wachowski, Larry Wachowski
Distribution :
Keanu Reeves, Laurence Fishburne, Carrie-Anne Moss
Durée :
136 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
17 Octobre 2004