MATCH POINT (2005)
Woody Allen
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Ce n'est pas un secret que, depuis quelques années, Woody Allen
tourne en rond. À force de raconter sans cesse les mêmes
blagues et de fréquenter les mêmes personnages à
chaque film, l'un des véritables maîtres de l'humour au
grand écran en était venu à concevoir une caricature
de lui-même. Il ne faut parfois qu'un simple voyage pour renouer
avec l'inspiration, et le récent séjour du New-yorkais
en Angleterre semble avoir tonifié son esprit et aiguisé
sa plume. Car Match Point est le premier film d'Allen depuis
un bon bout de temps à ne pas prêcher uniquement aux convertis
de longue date, de même que le premier depuis belle lurette à
proposer aux spectateurs autre chose qu'un spectacle éphémère
truffé d'auto-références ou un sympathique bibelot
nostalgique. Voici, enfin, un nouveau Woody Allen digne de l'immense
talent de son auteur.
Même le traditionnel générique d'ouverture annonce
sans équivoque un changement de cap radical. L'éternel
jazz dixieland a cédé sa place à un air d'opéra
solennel par lequel le réalisateur annonce ouvertement le ton
lourd de sa plus récente oeuvre. Consciemment, la construction
narrative de Match Point est calquée avec soin sur le
modèle de la tragédie classique. Lorsque nous rencontrons
Chris (Jonathan Rhys-Meyers), il lit Dostoïevsky sans être
conscient du drame Shakespearien qu'un destin sournois lui réserve.
C'est un jeune joueur de tennis irlandais ayant tout récemment
abandonné la compétition qui déambule tel un touriste
dans les hautes sphères de la bourgeoisie britannique. De fil
en aiguille, il rencontre Cloé (Emily Mortimer), la fille d'un
richissime homme d'affaire, et en tombe amoureux.
Chris escalade rapidement les échelons de l'entreprise familiale
et, malgré une aventure passionnée avec sa futur belle-soeur
(Scarlett Johansson), décide d'épouser Cloé. Mais
Allen, plus cruel qu'à l'habitude, n'en a pas fini avec lui.
En fait, l'auteur renoue ici avec la tangente dramatique moins célébrée
de son oeuvre ainsi qu'avec certains des thèmes abordés
par Crimes and Misdemeanors. À partir d'une complexe
composition en miroirs, il livre une oeuvre aboutie et appliquée
dont l'introduction somme toute légère et la sombre finale
forment un cercle parfait. Allen n'a pas totalement abandonné
l'humour. Sauf que celui-ci se glisse subtilement dans le film par l'entremise
d'un montage ingénieux plutôt qu'en envahissant chaque
réplique.
Match Point nous laisse sur l'impression qu'Allen a réellement
pris le temps d'écrire et de penser une galerie de personnages
denses et réels plutôt que de s'appuyer paresseusement
sur des archétypes qu'il traîne tel un boulet depuis trop
longtemps. Ici, il prend le temps de nous présenter en profondeur
chaque figure-clé de son intrigue plutôt que de compter
sur notre connaissance préalable de chacune de leurs névroses.
En se libérant des automatismes qui alourdissaient son écriture,
Allen a trouvé le secret de sa rédemption; une fois de
plus, nous pouvons nous intéresser aux personnages qu'il torture.
Chris fascine parce qu'il est imprévisible et parce qu'il ne
s'agit pas d'un énième alter ego de l'auteur. Ses dilemmes
sont tangibles et compréhensibles. C'est pourquoi la direction
dans laquelle il pousse l'intrigue est aussi étonnante que déchirante.
En fait, Allen réserve au spectateur un pivot narratif aussi
estomaquant qu'il est prenant. Après une légère
baisse de régime, son film renaît glorieusement pour être
investi d'une gravité nouvelle. Avec doigté et intelligence,
Allen commet l'impensable alors que l'on croyait n'avoir affaire qu'à
un autre triangle amoureux. Ce revirement de situation maîtrisé
donne à Match Point un souffle nouveau: les scènes
qui suivent sont d'une intensité remarquable et viennent donner
suite d'une manière articulée à toutes les pistes
défrichées durant la première moitié du
film.
Un clin d'oeil particulièrement inspiré au premier plan
du film vient sceller le destin de Chris. La chance règne dans
Match Point. Pourtant, Allen n'y laisse rien au hasard, orchestrant
de façon machiavélique un opéra grandiose. C'est
ironiquement son goût pour la tragédie que l'on avait auparavant
rejeté qui semble être la source de sa rédemption
à ce stade avancé de sa carrière. À moins
que ce ne soient les paysages londoniens qui l'ai libéré
de ses vieux tics new-yorkais. Ou même les beaux yeux de Scarlett
Johansson, qu'il dirige admirablement, qui l'ont inspiré à
écrire avec une telle force viscérale. Quoi qu'il en soit,
ce renouveau inventif est des plus plaisants, et annonce peut-être
le début d'une nouvelle ère dans la carrière d'Allen.
Qui sait? Peut-être le réalisateur américain s'est-il
enfin laissé séduire par cette Europe qui l'a toujours
accueilli avec plus d'entrain que ses compatriotes ne le faisaient?
Version française : -
Scénario :
Woody Allen
Distribution :
Scarlett Johansson, Jonathan Rhys-Meyers, Emily
Mortimer
Durée :
124 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
13 Décembre 2005