MARY (2005)
Abel Ferrara
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Un réalisateur arrogant et manipulateur (Matthew Modine) ayant
tout juste complété une relecture controversée
de la vie de Jésus Christ est invité par un populaire
animateur de télévision (Forest Whitaker) à venir
traiter de la perspective de Hollywood sur le christianisme dans le
cadre d'une série d'émissions centrées sur le thème
de la religion. Estomaqué par la performance de l'actrice qui
interprétait Marie-Madeleine (Juliette Binoche), l'animateur
tente d'inviter celle-ci à cette discussion en ondes. Mais il
semble que, perturbée par son expérience spirituelle,
la jeune vedette ait rejeté le monde bruyant et mercantile du
cinéma pour aller vivre en Israël. Lorsque le malheur s'abat
sur sa famille, l'homme sera lui aussi secoué par une profonde
remise en question et tentera de trouver chez cette distante figure
quasi-mystique cette dimension spirituelle qu'il est incapable de tirer
de la religion traditionnelle.
Récipiendaire des plus hauts honneurs au plus récent Festival
de Venise, le nouvel essai d'Abel Ferrara sur la religion et la spiritualité
frustrera ceux qui espéraient un coup de poing dans la veine
du culte Bad Lieutenant de 1991 mais devrait redorer aux yeux
de plusieurs le blason de ce réalisateur dont l'oeuvre violente
et imprévisible polarise les cinéphiles depuis The
Driller Killer. Mary est une oeuvre subtilement ébranlante
sur la notion de foi ainsi qu'une attaque en règle contre ceux
qui exploitent celle des autres à des fins personnelles ou lucratives.
Si Ferrara nous avait déjà habitués à ce
genre de grands thèmes existentiels lourds et profonds, son Mary
se distingue des autres pièces de sa filmographie par le doigté
dont il y fait preuve. Fidèle à sa sulfureuse réputation
d'enfant terrible et de provocateur, l'Américain approche la
question de la religion d'un angle non-conventionnel et potentiellement
choquante. Ne serait-ce qu'au niveau factuel, il construit une bonne
partie de sa réflexion à partir de textes oubliés
prétendument écrits par Marie-Madeleine qui influenceraient
grandement la position de la femme au sein de la doctrine chrétienne.
De par la place qu'il laisse à divers théologiens, Mary
s'affirme comme une sérieuse étude sur l'avant-garde intellectuelle
des milieux religieux, dont on a tendance à oublier l'existence
par la faute des excès de zèle du Vatican. L'exposé
théorique est riche et bien mené. Mais c'est le virage
que prend le scénario suite au drame que vit le personnage de
Whitaker qui mène le film à se concrétiser réellement
en une expérience remarquablement enrichissante.
Ainsi, la question que pose Ferrara dépasse les notions intellectuelles
qu'il étale habilement lors de la première moitié
du film. Finalement, c'est l'idée même d'une intellectualisation
de la foi que Ferrara confronte à la vision plus naïve de
la majorité des croyants. Cette vision cérébrale
des enseignements religieux est-elle aux antipodes de l'abandon à
un pouvoir supérieur que propose la religion chrétienne
comme voie?
Les abus du personnage de Modine sont-ils révélateurs
de la position de Ferrara à ce sujet? En fait, le personnage
du réalisateur permet à celui-ci d'aborder une autre facette
des relations entre l'homme et la religion. Lorsqu'on lui demande pourquoi
il a réalisé le film This Is My Blood, Modine
répond à la blague que c'est parce que le Passion
of the Christ de Gibson avait fait beaucoup d'argent. Le commentaire
souligne la relation narcissique qu'entretient l'homme avec la religion.
Mais sommes-nous en droit de traiter les croyances les plus chères
des autres comme une banale marchandise? Le personnage de Modine défend
son droit à la liberté d'expression. Sauf que ses motivations,
pour leur part, demeurent obscures. Il y a beaucoup à tirer de
Mary, des questions à l'infini ainsi que quelques réponses
ici et là. Ferrara, à notre grande surprise, évite
de tout nous asséner en pleine face. Son film s'affaire surtout
à élaborer une suite de conflits fascinants qui nous poussent
à la réflexion. Bien rythmé et capable d'une belle
intensité, il s'agit de son essai le plus mature et posé
depuis un bon bout de temps. Le jeu formidable du sous-estimé
Forest Whitaker est accessoire à l'ensemble. Mary est
un film remarquable qui cherche à provoquer le spectateur sans
le faire de manière évidente. La réussite n'en
est que plus aboutie.
Version française : -
Scénario : Abel Ferrara, Mario Isabella, Simone Lageoles
Distribution : Juliette Binoche, Forest Whitaker, Matthew Modine,
Giovanni Capalbo
Durée : 83 minutes
Origine : Italie, France, États-Unis
Publiée le : 18 Novembre 2005
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