MARK (2009)
Mike Hoolboom
Par Clara Ortiz Marier
Comment faire le portrait d’un homme ayant de son propre gré
décidé de disparaître? Comment rendre hommage à
un homme qui, de son vivant, s’effaçait déjà
du paysage? Voilà le défi que s’est donné
le réalisateur Mike Hoolboom qui, suite au suicide en avril 2007
de son monteur Mark Karbusicky, a décidé d’en faire
le sujet d’un film. Une manière inhabituelle de faire son
deuil, en réponse au départ inhabituel et brutal d’un
ami. Chaque individu ayant sa propre manière de réagir
face à la mort d’un proche, Hoolboom a eu recours à
ce qu’il connaissait le mieux pour traverser cette épreuve
difficile. Sans être un documentaire à proprement parler,
Mark est un hommage riche et complexe, fruit d’un deuil
vécu par l’entremise de la vidéo. Plus connu pour
son travail en tant que réalisateur expérimental dans
les années 80-90, Hoolboom cherche à démontrer,
dès ses premières oeuvres, « […] le mécanisme
de la signification : comment fonctionnent le langage et le récit,
comment la présence physique détermine la perception,
comment le film lui-même communique des idées. »
Avec ce tout dernier film qui emprunte à la fois à la
tradition du documentaire et du film expérimental, Hoolboom relance
ces mêmes problématiques. Si la présence physique
détermine la perception, comment présenter un homme dont
la matérialité n’est plus? Voilà, certes,
le défi du portrait vidéographique. Mais dans ce cas précis,
Hoolboom ne pouvait faire autrement que d’aller au-delà
du simple regard documentariste, son implication affective le forçant
à porter son regard derrière ce qu’il désigne
lui-même comme le « mask of happiness » de
Mark Karbusicky.
Ce masque du bonheur, la façade que Mark avait réussi
à ériger au fil des années, c’est ce que
Hoolboom tente de percer. Il en fait d’ailleurs état dès
les premières minutes de son film, qui s’ouvre sur un gros
plan du visage de Mark, sérieux et pensif; un homme au visage
fermé qui s’illumine soudain d’un sourire et revêt
son « mask of happiness » devant la caméra.
Par une narration à la fois sensible et poétique, Hoolboom
nous invite à prendre conscience de cette double nature, et nous
met dans l’étrange position du spectateur qui, d’une
part, fait connaissance avec ce parfait inconnu et, d’une autre,
doit tenter de voir au-delà de cette palissade qui était
restée infranchissable même pour certains des plus proches
amis de Mark. Dans la narration/réflexion qui accompagne le film,
Hoolboom soulève une question qui sert de trame de fond à
l’ensemble du film. Comment fournir l’image d’un arrière-plan?
Empruntant au langage cinématographique, le réalisateur
se réfère à son sujet : Mark, ami fidèle,
humble collègue, âme sensible et artiste engagé,
mais étant toujours resté volontairement à l’arrière-plan,
tel un visage hors focus. Le film de Hoolboom nous apparaît donc
comme une tentative de lever le masque, de ramener cet homme au premier
plan.
Suite au décès de Mark, Mirha-Soleil Ross, sa compagne
endeuillée, invite proches et amis à venir dormir chez
elle, pour tenter de contrer l’insupportable absence de Mark,
doublée de l’insidieuse présence de sa mort. Hoolboom
répond à l’appel et s’installe dans le salon
de cet appartement où son ami et collègue de longue date
a commis l’irréparable. Armé de sa caméra,
il capte diverses images et filme Mirha-Soleil dans cette vie qui continue,
malgré la perte et la souffrance. L’idée du film
prend racine et Hoolboom se met en devoir de rencontrer diverses personnes
qui étaient proches de Mark. C’est avec un respect et une
sensibilité marqués que le réalisateur filme les
témoignages de ces gens, dans leurs réactions face à
la mort de leur ami et leurs réflexions sur la personne qu’il
était. Ayant comme objectif de filmer ces rencontres dans l’année
suivant le décès de Mark, Hoolboom utilise les entretiens
comme point de départ, en les appuyant de sa propre réflexion
et en les mariant à diverses images et autres représentations
liées à Mark. Chaque participant expose sa vision, sa
perception de Mark, chacun de ces témoins intervenant dans un
collage surréaliste d’images d’archives, d’enregistrements
vidéo (tirés de la collection personnelle de Mark), de
films de fiction, de photographies, et autres documents divers.
En associant et superposant ces images aux origines diverses, Hoolboom
crée de nouvelles connexions pour communiquer idées et
sensations, avec l’optique de faire un portrait à l’image
de son sujet. Mark est dévoilé par fragments, sa complexité
représentée dans un mélange dense et hétérogène.
Car dès le début du film, le spectateur est confronté
à un champ visuel très chargé, les images se superposant
et formant un ensemble plus ou moins cohérent. À l’instar
d’un esprit confus et troublé par la perte de l’être
cher, le film s’ouvre sur ce brouhaha d’images, et part
de cette situation complexe pour ensuite la décortiquer, en saisir
ses nuances et ses détails, et finalement s’en remettre
à l’émotion pure face aux faits. Notre vision de
Mark, de qui il était et de comment il était perçu
par ses proches, devient plurielle et kaléidoscopique, chaque
aspect de sa personne se présentant comme autant de facettes
à découvrir. Les passages portant sur l’identité
sexuelle, la discrimination, le racisme ou la cruauté envers
les animaux se trouvent donc justifiés et nécessaires,
Hoolboom cherchant ainsi à évoquer tout ce que Mark représentait
et tout ce en quoi il croyait. Certes, Mark reste un document
étourdissant et inclassable, qui surprend et déstabilise.
En tant que spectateur/voyeur, nous pourrions facilement sombrer dans
un certain inconfort face à ce film hautement personnel et intimiste.
Mais Hoolboom ne se limite pas à simplement filmer la douleur
et la perte. Au contraire, le réalisateur, avec son bagage indéniable
de vidéaste expérimental, vient enrichir le portrait qu’il
fait de son ami. Il parvient ainsi à aller au-delà du
simple portrait/documentaire et réussit à catalyser l’émotion
suscitée par la mort de cet homme qui portait manifestement quelque
chose de trop lourd en lui, cet homme dont les paroles prennent tout
leur sens une fois le film visionné : « The truth was
the thing I invented so I could live ».
1. PEVERE, Geoff et Tom McSorley. « Hoolboom, Mike John ».
En ligne. L’Encyclopédie canadienne. http://www.thecanadianencyclopedia.com/ind...s=F1ARTF0011258.
Version française : -
Scénario :
Mike Hoolboom
Distribution :
Mark Karbusicky, Andrew Vollmar, Mirha-Soleil Ross,
Lauren Corman
Durée :
70 minutes
Origine :
Canada
Publiée le :
2 Décembre 2009