MARIE ANTOINETTE (2006)
Sofia Coppola
Par Jean-François Vandeuren
Il n’aura fallu que deux films à Sofia Coppola pour dissocier
son nom de famille du riche héritage cinématographique
de son père et l’associer à une toute autre signature
dont le mérite lui revient entièrement. Plutôt que
de donner dans la même veine épique et profondément
mythique des plus ambitieuses fresques de Francis Ford Coppola, la jeune
réalisatrice privilégia la mise en scène de récits
beaucoup plus personnels et simples en apparence, ayant tous en commun
cette même quête du bonheur dans les méandres de
toutes les déceptions et les inquiétudes qu’implique
la vie moderne. La grande finesse de son approche à la fois lucide
et teintée d’élans poétiques lui aura d’ailleurs
valu l’Oscar du meilleur scénario original pour son formidable
Lost in Translation. La décision de Coppola après
coup de remonter le temps pour donner dans le drame historique fut un
choc pour plusieurs, voire même une amère déception.
Coppola aurait-elle pris goût à la gloire au point de ne
vouloir travailler que dans le but de séduire l’Académie?
Ce n’est pas comme si ce soudain changement de cap ne s’était
jamais produit à Hollywood auparavant. Pourtant, malgré
l’époque à laquelle se déroule ce Marie
Antoinette, le style visuel ainsi que les thèmes abordés
demeurent pour leur part foncièrement actuels.
Ce qu’il faut savoir dans un premier temps est que le troisième
long-métrage de Sofia Coppola porte parfaitement son nom. La
cinéaste américaine ignore volontairement la hargne du
peuple français à l’égard de la monarchie
ainsi que tout élément politique relié au règne
de Louis XVI (mis à part quelques références à
la Guerre d’indépendance des États-Unis) pendant
la majeure partie du film pour se concentrer uniquement sur ce qui se
trame à l’intérieur du palais de Versailles et,
par le fait même, du cercle fermé de la grande bourgeoisie.
Coppola forme du coup un huis clos autour de son personnage d’éternelle
adolescente, à laquelle Kirsten Dunst confère toute la
candeur désirée, mais aussi les traits d’une jeune
femme profondément blasée par ses obligations royales
et matrimoniales. Coppola porte également un regard beaucoup
plus observateur que critique sur la folie dépensière
de ladite «reine de l’endettement» tout en soutenant
que le comportement de cette dernière n’était pas
sans fondement. Comme la Charlotte qu’interprétait Scarlett
Johansson dans Lost in Translation, la Dauphine vivra un certain
choc culturel avant de faire face au même type de déceptions
et de pressions émanant d’un univers qui tentera de l’exclure
tout en la forçant à s’intégrer. La Marie
Antoinette de Sofia Coppola cherchera du coup un moyen de s’évader
et finira par trouver refuge dans la mode et les plaisirs mondains.
La facture visuelle de Sofia Coppola reste également très
ancrée dans la modernité. La réalisatrice met ainsi
superbement en valeur ses décors et costumes par le biais d’une
caméra plus instinctive et vivante que l’approche d’ordinaire
plus statique et calculée à laquelle le genre nous a habitué.
Coppola éprouve toutefois quelques difficultés à
organiser son récit de façon cohérente. Cette dernière
tente de répéter les prouesses narratives de Lost
in Translation par le biais d’un scénario elliptique
et fragmenté en séquences d’assez courte durée.
Mais si la cinéaste prouva la grande force de cette forme de
montage pour mettre en scène une histoire ne durant que quelques
jours, son utilisation s’avère beaucoup plus chaotique
dans un cas comme celui-ci où le récit s’étale
sur plus de dix ans. Il devient du coup difficile de se situer précisément
sur une ligne du temps, d’autant plus que les personnages du film,
en particulier Marie Antoinette que l’on nous présente
alors qu’elle n’est âgée que de 15 ans, ne
semblent jamais vieillir.
La cinéaste prit également un risque considérable
en accompagnant son effort d’une trame sonore particulièrement
anachronique composée de pièces pops, rocks et électroniques.
Marie Antoinette vibre ainsi au rythme des formations New Order,
The Cure, Siouxsie and the Banshees, The Strokes et Aphex Twin, pour
ne nommer que ceux-ci. Le ton est d’ailleurs donné dès
les premières notes de la trépidante Natural’s
Not In It de Gang of Four lors d’un générique
d’ouverture qui valide rapidement l’exercice de style. Coppola
ira même encore plus loin en intégrant littéralement
ses choix musicaux à l’univers de son film lors d’une
séquence de bal masqué où la bourgeoisie française
de l’époque semblera s’être donnée rendez-vous
à l’intérieur d’une boîte de nuit au
beau milieu des années 80.
Sofia Coppola signe ainsi un troisième opus dont elle cerne parfaitement
chaque enjeu malgré les difficultés qu’elle éprouve
à les rassembler en un tout fluide et équilibré.
Nous devons évidemment accepter le fait que la jeune réalisatrice
s’intéresse davantage à la psychologie de son personnage
principal qu’à la situation politique et sociale d’une
France en pleine période de crise. Les riches s’enrichissent
tandis que loin de leurs regards les pauvres s’appauvrissent.
Coppola dresse tout de même un parallèle fort pertinent
avec la situation dans laquelle est plongé le peuple américain
en ce moment alors que l’administration Bush se retrouve aux prises
avec une population de plus en plus insatisfaite et une guerre qu’elle
n’a pas les moyens de financer. Marie Antoinette peut
donc être considéré comme une réussite qui,
sans atteindre la stature du pourtant moins complexe Lost in Translation,
prouve une fois de plus la grande créativité et l’intelligence
d’une cinéaste qui n’a pas peur de jouer avec les
fondements d’un genre aussi rigide que le drame historique et
les attentes du public pour arriver à ses fins. La cinéaste
fonce la tête haute, plus confiante que jamais, parfois même
un peu trop.
Version française :
Marie Antoinette
Scénario :
Sofia Coppola
Distribution :
Kirsten Dunst, Jason Schwartzman, Steve Coogan,
Rip Torn
Durée :
123 minutes
Origine :
États-Unis, France
Publiée le :
7 Décembre 2006