MARGOT AT THE WEDDING (2007)
Noah Baumbach
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Tout comme celle des Eustache et Rohmer qu'il admire, la démarche
artistique de Noah Baumbach n'est pas immédiatement « remarquable
» - c'est-à-dire que son caractère unique ne saute
pas aux yeux d'emblée. Cinéaste de l'effacement, l'auteur
du très beau The Squid and the Whale traite le cinéma
non pas comme fin mais bien comme moyen; il est en ce sens profondément
rohmérien, naturaliste et littéraire à la fois,
ancré dans le réel tout en affirmant sa théâtralité.
Le réalisateur français, auquel Margot at the Wedding
se veut un vague hommage, écrivait en 1949 que « comme
un Balzac ou un Dostoïevski, dont le dédain pour les raffinements
de l'expression prouve assez qu'un roman ne s'écrit pas avec
des mots, mais avec les êtres et les choses du monde, le réalisateur-auteur
de demain connaîtra la joie exaltante de trouver son style dans
la texture même du réel. » Presque soixante ans plus
tard, cette idée trouve un écho dans l'oeuvre de Baumbach,
dans ce cinéma intimiste où le personnage prime sur le
plan. Il y a la vie, d'abord, et le cinéma ensuite. Margot
at the Wedding évite ainsi les écueils traditionnellement
associés au film-hommage, la citation ou la référence
directe, au profit d'un respect du projet cinématographique duquel
il se veut tributaire.
Alors que son camarade Wes Anderson propose un mouvement allant du cinéma
vers la vie, Baumbach défend donc consciemment ou non cette compréhension
ontologique du cinéma d'abord avancée par André
Bazin; le tournage produit le discours et «l'apparence est l'être»,
pour reprendre encore une fois les mots de Rohmer. Le grand défi
du cinéma est d'exprimer l'intériorité humaine
par l'entremise de l'extériorité, d'incarner une surface,
de permettre à l'être de transparaître: d'où
ce souci des corps dans l'espace, cette primauté du jeu sur le
montage. Les choix naturalistes dominent chez Baumbach sur les préoccupations
d'ordre cinéphilique. Voilà pourquoi Margot at the
Wedding est un hommage qui risque d'être mal compris: parce
qu'il est plus philosophique qu'anecdotique, s'opposant par le fait
même au kaléidoscope culturel post-moderne duquel il descend
pourtant. Il est l'aveu d'une dette spirituelle plutôt qu'une
démonstration formelle de celle-ci, et s'apparente dans les faits
à son prédécesseur bien plus qu'à l'oeuvre
d'un autre auteur.
Au niveau du sujet, le film ne s'affranchit d'ailleurs pas des préoccupations
de The Squid and the Whale - ou encore de celles qu'avance
en général l'oeuvre d'Anderson. Film sur les déboires
amoureux et familiaux d'Américains cultivés (et, semble-t-il
par conséquent, névrosés), Margot reprend
donc dans une vaste mesure des motifs connus voire surexposés
- divorce, puberté, infidélité - dans un contexte
qui tient lui aussi de l'archétype du film de chambre, celui
des retrouvailles entre soeurs. Tout comme il l'avait fait dans The
Squid and the Whale, Baumbach s'intéresse ici à tous
les coups bas que peuvent se permettre des individus qui se connaissent
intimement; c'est ainsi que la relation entre Margot (Nicole Kidman)
et Pauline (Jennifer Jason Leigh) s'envenime et se transforme en véritable
joute psychologique, pleine d'une cruauté teintée d'amour.
Leur dialogue est cinglant, constamment à cheval entre des sentiments
violemment contradictoires.
S'il n'est pas exempt d'humour, le film tient beaucoup plus du drame
que de la comédie. Allant au-delà du simple réalisme
psychologique, Margot at the Wedding se permet d'évoquer
les dangers propres à cette démarche par laquelle est
exposée publiquement l'intimité du créateur. Margot,
romancière, s'ouvre aux attaques d'autrui et « exploite
» son entourage par l'entremise de ses écrits; l'image
est efficace, ajoutant d'une part à la richesse du propos et
de l'autre à la complexité même des enjeux psychologiques
du scénario. Le problème, c'est qu'il s'agit essentiellement
de la même métaphore qu'employait déjà Baumbach
dans The Squid and the Whale - où c'est un couple d'auteurs
qui divorçait.
Remarquable directeur d'acteur, Baumbach trouve le moyen de soutirer
des prestations d'un naturel désarmant à des comédiens
professionnels. Il désamorce les tics cabotins de Jack Black
sans lui soutirer son essence comique, révélant de manière
crue la veine pathétique et morose de son personnage habituel.
Il utilise à bon escient la froide retenue de Nicole Kidman,
à la fois rigide et fragile, et donne à sa compagne Jennifer
Jason Leigh son meilleur rôle depuis des lustres. Ses personnages
à la fois tendres et mesquins sont des humains « authentiques
», sexués et faillibles, qui ne demandent qu'à prendre
vie. Toute la force de sa réalisation tient alors au fait que
l'exécution laisse le champ libre aux comédiens, qui sont
dans ces conditions à même d'habiter vraiment le texte;
la caméra colle aux sujets, et le tournage très libre
se dépouille par lui-même des artifices d'un découpage
précis.
Bref, Baumbach s'avère non seulement capable d'écrire
des émotions crues mais aussi de les mettre en scène avec
pudeur et dépouillement. Certes, Margot at the Wedding
n'égale pas The Squid and the Whale; mais il prouve,
hors de tout doute, le talent du jeune réalisateur américain.
Travaillant dans un registre difficile, celui du drame psychologique,
Baumbach tire son épingle du jeu parce qu'il parle de morale
sans être moraliste. En ce sens, il est effectivement élève
de Rohmer et partage avec celui-ci ce désir de mettre à
jour les hypocrisies de l'individu sans le placer sur le banc des accusés.
Mais, s'il mentionne brièvement le cinéma d'un autre,
c'est toujours dans l'optique de mieux définir le sien. Baumbach,
pour cette raison, mérite cette attention que lui a valu l'étiquette
« d'indépendant » en vogue actuellement.
Version française : -
Scénario :
Noah Baumbach
Distribution :
Nicole Kidman, Jack Black, Jennifer Jason Leigh,
Seth Barrish
Durée :
93 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
21 Mars 2008