LA MARCHE DE L'EMPEREUR (2005)
Luc Jacquet
Par Jean-François Vandeuren
Le film documentaire portant sur la vie animale est probablement un
des genres cinématographiques dans lequel il est le plus difficile
d’œuvrer. Vu leur abondance, on peut avoir tendance à
ne pas accorder d’importance à la richesse et la complexité
du travail technique nécessaire à la réussite d’un
tel projet. Une des prouesses techniques les plus significatives étant
de rapporter avec exactitude le mode de vie d’un animal dans son
milieu naturel sans venir l’importuner ou altérer son comportement.
Il est en ce sens dommage que les artisans du genre ne voit pas toujours
leur talent reconnu à leur juste valeur. Mais il faut reconnaitre
que peu importe la qualité visuelle de l’effort, il se
doit de frapper fort au niveau narratif en évitant de le rendre
trop lourd et ainsi capter pleinement l’attention du spectateur.
Le coup de génie dans le cas de La Marche de l’empereur
fut d’allier le documentaire à une narration romancée.
Une initiative intelligente ajoutant une touche plus lyrique au film
de Jacquet, mais qui n’est cependant pas sans accrocs qui, sans
vraiment nuire au résultat final, peuvent agacer au passage.
La Marche de l’empereur nous invite donc à prendre
part à la vie sur la banquise et à suivre au fil des saisons
le long et périlleux cycle de reproduction du manchot empereur
dans le désert de glace de l’Antarctique. Une entreprise
en plusieurs étapes valsant plus souvent qu’autrement aux
abords de la mort, mais qui témoigne à chaque instant
d’un courage hallucinant dans le seul et unique but de donner
la vie. Plusieurs tomberont inévitablement, affligés par
le froid de l’hiver et du temps qui ne se veut jamais un facteur
rassurant. Dans le cas présent, il s’agit pour eux de chercher
à rester en vie avec le peu de ressources alimentaires présentes
en eux pendant plusieurs mois pour ensuite pouvoir renouer avec l’océan
et son abondance de nourriture pour s’y nourrir et ainsi ramener
de quoi manger à leurs petits.
Le film de Luc Jacquet est avant toute chose une réussite technique
très impressionnante, alors que le cinéaste français
et son équipe ont dû, comme leurs sujets, braver la nature
elle-même et des températures extrêmement basses
pour nous livrer ce film. Un périple qui exigea énormément
de préparation on s’en doute bien et qui nécessita
près d’un an de tournage dans des conditions particulièrement
hasardeuses. Mais Jacquet et son équipe sont tout de même
parvenus à nous livrer une œuvre à part entière
composées de plans souvent hallucinants et alimentés d’une
photographie inexplicablement sublime, s’ajustant autant aux intempéries
qu’à la noirceur ou l’éclat du soleil.
Une entreprise visuelle couronnée de succès qui est également
alimentée par une narration superbement récitée
par les acteurs Charles Berling, Romane Bohringer et Jules Sitruk. Plutôt
que d’expliquer à distance, les créateurs du film
ont plutôt opté pour une touche un peu plus poétique
nous amenant en plein cœur du processus où une famille de
manchots nous fait part de leurs craintes et de leurs joies, tout en
faisant état de la situation autour d’elle. Une idée
fort astucieuse dont le seul véritable défaut serait la
perte d’équilibre qu’elle occasionne entre le documentaire
et le récit romancé, cherchant parfois à servir
un peu plus cette seconde facette en faisant part d’élans
d’informations discutables et présents beaucoup plus par
souci d’élégance que d’objectivité.
On remarque la même chose au niveau du montage où du matériel
filmé hors contexte fut inséré pour compléter
une scène comme un dialogue entre un père manchot et sa
progéniture. Mais il faut malgré tout reconnaitre que
l’effet fonctionne à merveille.
Dans son ensemble, La Marche de l’empereur se veut tout
simplement un très beau film qui a tous les éléments
à la bonne place, évoquant les diverses marches de ce
peuple des neiges en images et en mots d’une manière fort
accrocheuse et même souvent inventive. L’effort de Luc Jacquet
est d’autant plus doucement bercé par la savoureuse musique
d’Émilie Simon qui nous fait part de compositions qui ne
dépayseront pas les adeptes du groupe islandais Múm, à
laquelle Simon y ajoute un petit côté rose bonbon. Une
aventure envoutante à voir principalement pour sa réussite
visuelle incontestable qui témoigne d’un travail acharné
et surtout passionné, évoquant également avec éloquence
la dureté de ce genre de tournage, nous rappelant bien que les
conditions ravageuses auxquelles sont exposés les manchots empereurs
sont les mêmes pour l’équipe technique.
Version française : -
Scénario :
Luc Jacquet
Distribution :
Charles Berling, Romane Bohringer, Jules Sitruk
Durée :
85 minutes
Origine :
France
Publiée le :
11 Juin 2005