LE MARAIS (2002)
Kim Nguyen
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Une qualité clé du Marais qui frappe d'emblée
le spectateur est la capacité remarquable qu'y exhibe Kim Nguyen
à créer un univers tangible et crédible tout en
en gardant les contours flous, laissant planer une aura de mystère
intrigante et inquiétante à souhait sur cette Europe de
l'Est mythique qu'il met en scène avec son premier film. Cette
diégèse fantastique et quelque peu vague est parfaitement
appropriée au propos de son Marais, un commentaire sur
le fanatisme religieux que l'on pourrait lire en tant que Québécois
d'une perspective historique et régionale ou au contraire prendre,
en tant que citoyens du monde, comme un triste rappel des dangers liés
à un courant de pensée sur le retour chez nos voisins
du Sud et bien ancré partout où les gens s'entre-tuent
sur notre belle planète. C'est en partie un impressionnant travail
visuel, rendu possible par le merveilleux monde du montage numérique,
qui est responsable de la création du climat envoutant du Marais,
celui-là même qui rend plus facile à digérer
un film abordant des thèmes aussi lourds.
Alexandre (Gregory Hlady) et Ulysse (Paul Ahmarani) vivent librement
aux abords d'un marais en retrait des autres habitants du village isolé
qu'ils habitent. Lorsqu'Alexandre trouve dans la forêt le cadavre
d'une vieille dame, il décide de le cacher afin de ne pas être
soupçonné du meurtre de celle-ci. Les villageois suspectent
malgré tout les deux artistes marginaux d'être responsables
de la disparition de la femme du vieux Pépé (Gabriel Gascon),
un vieil homme rongé par le remords, la haine et la religion.
La communauté devient progressivement plus méfiante à
l'endroit de cet étranger et de son fils adoptif, que l'on finit
par qualifier de démoniaque sous prétexte qu'il souffre
d'étranges malformations. La tension augmente alors que l'inquiétant
Pépé s'assure de nourrir la flamme de mépris qui
brule dans le coeur des villageois de plus en plus turbulents.
Outre l'interprétation sinistre de Gabriel Gascon, Le Marais
trouble surtout par son climat obscur en permanence et ses paysages
aussi inquiétants qu'ils sont éblouissants. Film d'une
grande richesse esthétique, Le Marais s'avère
aussi fort ambitieux dans son spectre thématique. S'il frôle
parfois la surcharge à ce niveau, le film de Kim Nguyen arrive
à s'en sortir élégamment grâce à une
histoire aux ramifications multiples qu'il arrive malgré tout
à garder cohérente. La densité du Marais
est étourdissante. En 84 minutes, son réalisateur réussit
à entretenir un discours éloquent et articulé tout
en n'oubliant jamais que le but premier d'un film est narratif. En ce
qui s'avère finalement peu de temps, il présente méticuleusement
un nombre imposant de personnages secondaires qu'il fait évoluer
de façon parallèle à ses deux personnages principaux,
dressant ainsi beaucoup plus que les simples grandes lignes d'un univers
véritablement habité.
Qui plus est, Nguyen bâti son histoire à partir de scènes
fortes dont l'enchainement n'est jamais lourd ou maladroit. En fait,
le réalisateur arrive à pousser le spectateur aux limites
de l'inconfort en évitant la facilité. Même les
moments chocs de son film sont exploités la plupart du temps
avec subtilité, sans par ailleurs que n'en soit compromise leur
force de frappe. Jamais l'immersion du spectateur à l'univers
du film n'est mise en danger par un faux pas dans le ton. L'unité
stylistique du film est aussi remarquable que la qualité relevée
de ce style. Malgré tout, ce qui impressionne le plus est le
travail imposant d'homme-orchestre dont fait ici preuve Nguyen, responsable
du scénario, de la réalisation et du montage de son projet.
En explorant avec habileté un genre peu souvent touché
par le cinéma québécois dès son premier
film, Kim Nguyen a relevé un pari audacieux. Il peut être
fier du résultat obtenu. Non seulement son film peut-il aisément
se vanter d'être l'une des productions québécoises
les plus léchées et inspirées des dernières
années au niveau purement visuel, mais il s'avère aussi
fort pertinent de par les idées qu'il aborde. Remarquable à
plusieurs niveaux, Le Marais est exactement le genre de production
qui rassure quant à l'avenir de notre cinéma national.
Voilà, à tout le moins, un film à voir et un réalisateur
à surveiller...
Version française : -
Scénario :
Kim Nguyen
Distribution :
Gregory Hlady, Paul Ahmarani, Gabriel Gascon, James
Hyndman
Durée :
85 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
7 Février 2005